A.U.R.A, Walking mad et Petite Cérémonie : Trois regards sur les Ballets BC
Donnant l’occasion aux spectateurs montréalais de découvrir les nouvelles esthétiques explorées par le Ballet BC, dans une tonalité contemporaine chérie par sa nouvelle directrice artistique Emily Molnar, Danse Danse offre un programme triple de très haut niveau. Une soirée inégale sous le signe d’une danse raffinée et fulgurante.
Trois extraits de spectacles; trois chorégraphes invités par les Ballets BC ces dernières années: voilà qui met la table d’une soirée de danse en trois temps, aux tonalités contrastées. Emily Molnar, ex-danseuse de la compagnie, a causé selon les dires une petite révolution au Ballet BC depuis son entrée au poste de directrice artistique. Les Montréalais ont pu constater la richesse des langages chorégraphiques explorés par les chorégraphes qu’elle a choisis en Italie, aux Pays-Bas et en France. Dans une contemporanéité assumée, mais à travers une danse complexe et virtuose, les chorégraphes ont visiblement pris leur pied à créer des œuvres essoufflantes mais raffinées pour cette troupe canadienne aux corps solidement entraînés, maîtrisant différents genres et un haut niveau de technicité. Leur parfaite unisson est indéniablement bluffante.
A.U.R.A, de Jacopo Godani
Sur de formidables musiques électroacoustiques de 48nord, mêlant sonorités électro-grinçantes et violon, ou flirtant avec des percussions tribales, cette chorégraphie dissèque les corps comme dans un laboratoire vivant et agité. Portant des justaucorps striés qui découpent les corps en quartiers et créent un amusant effet de dissection anatomique, les danseurs évoluent la plupart du temps en formations de groupe, déployant à l’unisson une gestuelle ample et surpuissante qui évoque la grâce du corps humain, l’ingéniosité de l’anatomie et de son fonctionnement, la beauté et la prestance de son déploiement, mais également les inépuisables cycles de la vie. Quand descendent du plafond des néons éclairant crûment les silhouettes, cette impression de dissection du corps humain est accentuée et poétisée : un travail vraiment éloquent.
Dans cette chorégraphie de l’Italien Jacopo Godani, qui est clairement le morceau le plus abouti et le plus original de la soirée, les danseurs architecturent l’espace par effort collectif, créant un saisissant brouillamini de lignes et de traces, avant de vider la scène pour la laisser être dominée par les couples. Surgissent des duos à la gestuelle serpentée, aux mouvements plus arrondis, qui apparaissent et disparaissent à la faveur d’élégants fondus au noir. Dans cette danse en apparence plus sentimentale, les corps ne cessent pas d’être auscultés: ils semblent soudain se jauger, se comparer, se mettre à égalité ou en rivalité, avant de fusionner dans une gestuelle aérienne.
Tout à fait soufflant, en plus d’être vigoureusement poétique.
Walking mad, de Johan Inger
Plus théâtrale et bien plus convenue, la chorégraphie de Johan Inger (associé au Nederland Dans Theater) s’inscrit dans des jeux de séduction entre hommes et femmes au genre parfois ambigu, portant chapeaux-melon et costumes chics, puis robes légères sorties des coffres d’une autre époque. Leurs interrelations se concluent souvent contre le muret de fond de scène, abondamment bougé, déplié et troué, la plupart du temps percuté par des corps qui s’y échouent violemment.
Mais l’ensemble demeure la plupart du temps bon enfant, ludique, empruntant une théâtralité expressionniste qui fait très cliché de cabaret allemand. Y est mise de l’avant une narrativité simple, légère, dans un humour parfois slapstick, qui s’amuse des assortiments et désassortiments de couples divers. Bref, rien de bien nouveau sous le soleil.
À travers l’androgynie de ses danseurs, puis par des jeux de miroir et de symétrie/asymétrie, la chorégraphie arrive tout de même à évoquer quelques grandes questions : qui sommes-nous devant l’autre?, sommes-nous son égal?, son complément?, l’homme n’est-il vraiment lui-même que lorsqu’il se retrouve en paire? Cette tension de l’individu dans le couple sera ensuite déconstruite pour être explorée à travers le groupe, dans une ambiance joyeuse de fête d’anniversaire qui sera à son tour mise en pièces pour effectuer un retour à l’individu et à ses facettes sombres, dans un éclairage clair-obscur inquiétant. Quand le mur tombe et devient passerelle – la société apparaît, comme un apparent bloc homogène – conformisme, pression sociale et uniformité tyrannisent les danseurs. Le thème sera, on le verra, également de la partie dans la chorégraphie suivante.
Petite Cérémonie, de Mehdi Walerski
Cette adroite chorégraphie du Français Medhi Walerskji obéit toujours à la même courbe dramatique et explore les différences hommes-femmes dans une gestuelle rigoureuse mais avec beaucoup de ludisme. D’un geste contrôlé, régulier, sinon discret et élégant, la danse évolue vers une intensité libératrice, dans un crescendo savamment dosé.
Le travail de chœur, d’unisson, est particulièrement maîtrisé, puis s’efface doucement pour laisser place à des duos. Écartèlement entre le collectif et le couple, ou tyrannie de la vie à deux mise en parallèle avec les obligations de la vie en société : peu importe, cette danse oppose plus fortement les hommes et les femmes, exacerbant leurs différences comme leur attractions l’un envers l’autre.
De Vivaldi jusqu’à Bellini, la danse orchestre une guerre des sexes entrecoupée de moments d’harmonie conjugale, se concluant dans un ballet romantique qui semble prendre place dans une salle de bal d’une autre époque, dont les parfums surannés nous parviennent même si le décor épuré et cubique est hyper-contemporain. Les corps sont tour à tour désassortis puis naturellement assemblés, dans des allers-retours qui mettent joliment en relief les contrastes de genre.