Menka Nagrani / Le chemin des passes dangereuses : La gigue du 21e siècle
Scène

Menka Nagrani / Le chemin des passes dangereuses : La gigue du 21e siècle

Une pièce de Michel Marc Bouchard en version gigue contemporaine? C’est bel et bien ce que propose Menka Nagrani avec les comédiens Arnaud GloutnezFélix Monette-Dubeau et Dominic St-Laurent, transportant Le chemin des passes dangereuses à l’orée de traditions oubliées.

Artiste montréalaise ayant toujours abondamment mélangé théâtre, danse et musique, Menka Nagrani est notamment connue pour son travail avec des distributions hors-norme – acteurs vivant avec des déficiences intellectuelles ou danseurs aux corps atypiques. C’est pour remettre en question une société qui tend trop fort à l’uniformisation qu’elle se passionne pour ceux qui évoluent dans les marges. Si on la retrouve ici à la tête d’un projet plus classique, mettant en scène de jeunes comédiens diplômés de l’école de théâtre (qu’elle a choisis pour la qualité de leur jeu physique), elle demeure attachée à l’inaccoutumé, inventant une danse-théâtre inspirée de la gigue, qui fait fi de la réputation passéiste accolée au genre.

«On propage souvent une image négative de la gigue, dit-elle, mais je pense qu’il faut être fier de ce bagage et qu’il faut être capable de faire passer la gigue au 21e siècle. À l’image de la musique traditionnelle, qui s’est beaucoup métissée ces dernières années et qui est devenue le néo-trad, récoltant partout dans le monde un succès fou, il est temps de bousculer la gigue et d’en faire une forme contemporaine signifiante. C’est la mission que je me donne et c’est passionnant.»

Mixer la technique ancienne des jeux de pieds à un langage contemporain qui élargit le mouvement jusqu’à la totalité du corps du danseur, assure-t-elle, ouvre à un monde de possibilités. Une fois téléportée dans un univers dramatique tendu (comme l’est cette pièce de Michel Marc Bouchard mettant en scène trois frères se querellant sur une route isolée), la gigue contemporaine offre un contrepoint signifiant aux dialogues. «La danse permet d’exprimer des choses que les mots ne disent pas, explique Menka Nagrani. La gigue est une danse de pieds, très martelée, très ancrée dans le sol: elle fait écho au territoire d’enfance dans lequel les frères remettent les pieds après plusieurs années, mais elle fait également ressentir la fratrie, tout en exprimant l’agressivité entre les trois frères.»

Pièce explosive dans laquelle les trois hommes affrontent progressivement les fantômes et les blessures familiales, Le chemin des passes dangereuses montre comment l’héritage du père est surmonté pour faire la paix avec les tragédies du passé. Les frères arrivent progressivement à libérer une parole franche qu’ils n’avaient jusqu’alors cessé de réprimer. «Tuer le père, c’est un peu tuer le patrimoine, tuer la culture qui nous a fondés, dit la chorégraphe. Je vois dans la gigue une belle métaphore de cette situation familiale. C’est une tradition qu’on a voulu anéantir, mais qu’il faut bien faire renaître pour être en paix avec ce que nous sommes. Je trouve essentiel, en cette ère de mondialisation, de ne pas perdre de vue ce qui singularise la culture québécoise et je pense qu’il faut être capable d’assumer aux yeux du monde cette particularité culturelle sans pour autant faire preuve de repli sur soi.»

Cette œuvre de Bouchard, pense Nagrani, «touche à l’essence même de la culture québécoise en décrivant la réalité du Québec rural dans la langue orale. Mais elle est contemporaine par ses dialogues brutaux et par le désir des personnages d’aller de l’avant».

(Au Théâtre Prospero du 5 au 7 février, puis du 17 au 28 février 2015)
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