Impatience: l’adolescence sonorisée
L’adolescence, âge de tous les possibles? Inventant une forme de théâtre sonore performatif tout en plongeant dans les vertiges de l’adolescence, Anne-Marie Ouellet propose à l’Usine C le spectacle Impatience, mettant en scène de jeunes comédiens non-professionnels. Entrevue.
Ils sont trois adolescents, aux parcours divers et aux désirs vibrants, occupant la scène avec leur énergie brute, casques d’écoute aux oreilles. La metteure en scène Anne-Marie Ouellet s’intéresse depuis plusieurs années aux possibilités du théâtre sonore, mais aussi au bouleversement du jeu d’acteur par des «non-acteurs». C’est à travers l’adolescene, âge-charnière, qu’elle explore ce territoire artistique dans le spectacle Impatience.
«L’adolescence est forcément devenu le thème central du spectacle, dit-elle. C’est l’âge du combat entre l’enfance et l’âge adulte, l’âge de tous les possibles, alors que l’avenir se dessine à travers un horizon vaste et vertigineux. On explore notamment quels sont les rêves fomentés par l’esprit adolescent et quelle part de ces rêves seront abandonnés par la suite. Il y a des adultes sur scène avec eux, qui permettent aux ados de se projeter dans l’âge adulte, se demander ce qu’ils vont devenir, et mettre leurs rêves en résonnance avec ceux des jeunes adultes qui sont près d’eux et qui ont aussi eu ces mêmes rêves ou cette propension à aspirer à toutes sortes de choses. Il y a aussi une réflexion sur la force du corps-intervalle, de l’indéterminé: une réflexion sur les moments d’une vie où on retombe en adolescence, en quelque sorte, dans le sentiment vif à aspirer à quelque chose qu’on n’a pas encore atteint.»
Anne-Marie Ouellet cherche depuis des années des manières de favoriser un jeu performatif, instantané, immédiat, débarrassé des tics de l’acteur bien formé. Quelque chose qui soit de l’ordre de la présence brute, de la mise en jeu réelle de soi, de sa propre présence. «Je travaille avec des comédiens adultes depuis des années et soudain, en essayant cette recherche avec des corps adolescents, j’ai eu une révélation: ça fonctionnait tout seul. Des non-acteurs réussissent mieux à vivre sur scène, sans hyperconscience de leur image et surtout sans considération pour les techniques traditionnelles de jeu. Bien sûr, à l’adolescence, on est soucieux de son apparence et de son attitude, mais de manière moins habile qu’un acteur entraîné, sans les couches de formation du corps et de la voix que maîtrise tout acteur issu d’une école de théâtre. Je suis à la recherche de cette pureté et de cette désinvolture du corps. J’aime cette Vérité.»
Elle a construit le spectacle autour d’un système de micros et de casques d’écoute, dans lequel les ados reçoivent des consignes ludiques: il s’agit de s’abandonner le plus possible au jeu sans essayer de contrôler ses gestes et son apparence, sans se soucier de quoi on a l’air. «Il n’y a pas de scènes très écrites dans le spectacle, explique-t-elle, ce sont des jeux qui permettent graduellement un dévoilement de soi. Ça permet que l’acteur soit toujours sur le qui-vive, dans une présence forte.»
Si les ados sont invités à se raconter, à parler d’eux-même sans filet, le mensonge est aussi permis et encouragé. «C’est souvent dans l’invention que se trouve l’intérêt, philosophe Anne-Marie Ouellet. On ne sait pas toujours ce qui est vrai et ce qui est faux, et il y a un plaisir pour le spectateur de démêler ces mascarades, qui font écho aux mascarades dans lesquelles on vit quotidiennement: nos existences sont après tout un tissu de petits mensonges…»
Amplifiant les voix des adolescents, Ouellet a aussi fait du son la charpente de son oeuvre: c’est le son entendu dans leurs casques d’écoute qui est à la base de la partition des ados, qui motive leur parole et leur mouvement. «C’est un jeu de manipulation, dit-elle. Comme le jeu entre une marionnette et son marionnettiste, mais par le son. La musique joue également un rôle important dans ce processus.»
À l’Usine C les 6 et 7 février à 19h