Olivier Sylvestre / La beauté du monde : «On est tous toxicomanes de quelque chose»
Scène

Olivier Sylvestre / La beauté du monde : «On est tous toxicomanes de quelque chose»

Ode à la poésie d’une vie menée hors des sentiers battus et fable initiatique sur le passage à l’âge adulte, La beauté du monde, d’Olivier Sylvestre, est campée dans un immeuble où s’animent des personnages marginaux. Entretien avec l’auteur.

Pour ce texte qu’il a longuement travaillé (100 fois sur le métier), Olivier Sylvestre a reçu le prestigieux Prix Gratien Gélinas 2012: une récompense qui a lancé sa carrière sur les chapeaux de roue, quelques mois à peine après sa sortie du programme d’écriture dramatique de l’École nationale de théâtre. En ce texte reposent les ferments d’une signature singulière, faite d’une écriture volontairement lyrique et d’un regard soutenu sur des personnages marginalisés que l’auteur connaît bien (il est aussi intervenant en toxicomanie et diplômé en criminologie).

«Les personnages de laissés-pour-compte, explique-t-il, font partie de mon imaginaire depuis longtemps. Ils mènent une vie décalée, hors de la réalité, qui me fascine. Leur regard sur le monde est éminemment poétique. C’est pour ça que, dans la pièce, jai cherché surtout à en faire des humains possibles, pas seulement des archétypes de leur condition. Le personnage d’Olivier, qui va à leur rencontre alors qu’il vit une profonde crise existentielle, ne les juge jamais. Il les observe avec curiosité, simplement. On est tous toxicomanes de quelque chose, après tout. On s’accroche à différentes formes d’évasion, pour essayer de survivre, pour avoir accès à un autre monde. Le moteur de mon écriture, c’est le vide de nos vies, qu’on cherche à remplir de toutes les façons possibles, cherchant à s’extraire de soi pour mieux y revenir.»

Ainsi, pas d’approche sociologique ou documentaire chez Olivier Sylvestre, malgré son bagage en criminologie, qui aurait pu l’y encourager. Il dit «ne pas s’intéresser profondément aux causes sociales de l’exclusion», préférant «rester dans le sentiment, dans la brûlure.» «Je veux, poursuit-il, rester connecté sur mon émotion à moi quand je raconte ces histoires-là. Le théâtre me sert beaucoup à transposer, à quitter la sociologie, à faire de ces histoires-là des contes, des épopées plus grande que nature. Je n’écris pas dans une langue réaliste, pas mimétique : je recherche le lyrisme, le tragique, c’est mon travail d’auteur, je travaille beaucoup au niveau du rythme, avec beaucoup de virgules, d’emphase, de répétition. Il ne s’agit pas du tout de reproduire la langue d’Hochelaga, mais je me sers de ces codes-là pour les transformer et trouver à partir d’eux une langue éminemment théâtrale.»

Benoît Landry et Xavier Malo dans La beauté du monde / Crédit: Eugène Holtz
Benoît Landry et Xavier Malo dans La beauté du monde / Crédit: Eugène Holtz

 

La beauté du monde, c’est l’histoire d’Olivier, jeune homme dérouté par une vie qui lui apparaît soudainement dénuée de sens, au début de sa vingtaine. Quittant sa copine, remettant tout en question, il loue un appartement dans un immeuble à logements vaguement décrépit, où soudain les murs lui apparaissent vivants, «comme un corps, un organisme vivant, avec une bouche un corps un cœur». Et ce lieu se décompose; il est fragilisé, mis à mal, laissant peu à peu voir ses atypiques résidents.

«Olivier a besoin d’un changement radical dans sa vie, sinon il mourra. Ce n’est même pas un choix: la vie l’amène là tout simplement, comme un passage obligé. Je ne pense pas qu’il soit dépressif, ou psychotique, d’ailleurs je n’aime pas ces étiquettes. Je ne veux pas le voir comme un malade mental, je veux qu’on puisse s’identifier à lui dans nos crises, je ne pense pas qu’il faille l’isoler dans une prétendue pathologie. Il faut de plus en plus, dans notre société, s’appuyer sur un diagnostic de dépression pour justifier nos petits mal-êtres; tout ça me décourage profondément. Je pense qu’au contraire ce sont des états de soi qui devraient nous pousser à l’action plutôt que de se complaire dans un état dépressif médicamenté. D’ailleurs je trouve qu’il y a quelque chose de très beau dans ces états-limite, hypersombres: on n’a pas le choix de remonter quand on est descendu si bas.»

Olivier vit ainsi une sorte de déconstruction de soi, se permettant une mise à néant de sa personnalité pour explorer de nouvelles voies possibles, à travers les personnages marginaux qui l’entourent. Son parcours le mène à une reconstruction identitaire vertigineuse. «Qui sommes-nous dans ce monde? C’est la question centrale, et vaste, que pose cette pièce. Je m’intéresse aussi au sens que prend cette question dans ce monde dont on sait qu’il est voué à disparaître. Comment garder espoir, dans ce contexte?  En se mettant à la recherche de la beauté, sans doute. C’est ce qu’Olivier tente de faire.»

Le parti-pris de la mise en scène de Marilyn Perreault, connu pour son théâtre acrobatique vitaminé, est d’ailleurs de faire ressortir l’humour de la pièce et sa dimension carnavalesque. «Elle montre les scènes comme je les avais jamais vues», conclut Olivier Sylvestre.

Aux Écuries jusqu’au 28 février