Larry Tremblay / Grande Écoute : Le spectacle des sentiments
Dans Grande Écoute, Larry Tremblay renoue avec l’univers des médias pour mettre à l’avant la recherche immodérée d’émotions au sein des talk-shows actuels, au détriment des œuvres, avalées par un tourbillon de conversations sans issue.
Grande Écoute s’inscrit dans la poursuite d’une réflexion entamée avec Ogre et Téléroman sur l’effritement constant de la ligne entre la sphère privée et l’image publique. Avec comme toile de fond un talk-show où l’animateur cherche à extirper un maximum de confidences chez ses invités, la pièce s’intéresse à cette intrusion spectaculaire dans la vie d’autrui. «On peut très bien avoir un très bon talk-show sans ne jamais parler des œuvres et, à la fin, on va mentionner qu’un artiste a sorti un disque ou qu’un peintre va exposer. On ne va pas analyser l’œuvre: on va aller faire le côté privé, le côté de l’intime. La pièce Grande Écoute interroge les limites de l’intimité, jusqu’où on peut aller dans l’intimité des gens à la télévision. En fait, c’est la spectacularisation de la vie.»
Roy, l’animateur vedette joué par Denis Bernard, verra d’ailleurs cette ligne qui sépare son image publique de sa vie personnelle sur le déclin s’amincir. Les relations malsaines qu’il entretient avec sa femme Mary (Macha Limonchik) et son fils Willy (Alexandre Bergeron, aussi dans le rôle de Gary, un invité) font état de cette ambiguïté intensifiée qu’a pu observer l’auteur depuis l’écriture d’Ogre et de Téléroman. Roy n’épargne ni ses invités ni sa propre famille. «Il ne se donne pas de limites, il n’a pas de code d’éthique particulier, et il utilise tout ce qu’il peut pour arriver à ses fins. Et donc l’ultime outil qui lui sera fatal, c’est d’inviter son fils, c’est d’inviter son intimité, son vécu. Et c’est ça qui finalement le tue, le détruit. Tout ça se fait un peu dans son dos, sans même qu’il se conscientise au moment où il le fait.»
L’animateur mène donc des tête-à-tête aux conversations surréalistes, amalgames de compassion fallacieuse et de sincérité où se confondent le vrai et le faux, le privé et le public, tandis que les dialogues entre Roy et sa femme sont de nature beaucoup plus réaliste. «J’ai travaillé deux notes pour faire ressortir le spectaculaire associé au talk-show. En fait, je mets en évidence le langage inscrit dans le talk-show, dans les entrevues, pour que le spectateur réfléchisse justement à la construction d’une entrevue et au fait qu’on peut passer une heure en écoutant un talk-show sans qu’il y ait aucun contenu réel.»
La dynamique entre l’animateur et ses invités, étourdissante, empreinte d’une certaine cruauté, rend compte de ce spectacle bavard qu’est devenue, dans plusieurs cas, l’entrevue télévisée. «Je trouvais plus intéressant que dans le mot lui-même, le talk et le show, le show l’emporte sur le talk. Je mets cela en parallèle avec le fait qu’au théâtre, le texte est basé sur le dialogue, alors que le talk-show est basé sur la conversation.»
La mise en scène a été confiée à Claude Poissant, fidèle collaborateur et habitué de l’œuvre de Larry Tremblay, qui signe ici sa quatrième collaboration avec l’auteur.
À l’Espace Go du 24 février au 21 mars 2015