Le désir de Gobi : Le monde de Nine
Scène

Le désir de Gobi : Le monde de Nine

Le Théâtre de l’Ombre rouge crée avec une adaptation du Désir de Gobi de Suzie Bastien un ensemble remarquablement bien dosé entre le tragique et le fantaisiste, soutenu par un jeu solide de ses comédiens.

Jouée à plusieurs reprises sur les planches montréalaises, la première pièce de Suzie Bastien explore le monde intérieur et les troubles de Nine, enfant abandonnée par sa mère et séquestrée par son père pendant un an dans une pièce secrète, avec comme seul contact avec le monde extérieur une main qui lui tend le strict nécessaire. Un drame sans nom qui pousse l’enfant à trouver refuge dans son imagination, où elle crée Colas, l’enfant extraterrestre (Jonathan Hardy), Noman et Scarlett (Antoine Regaudie et Sébastien Perron), pour leur part aussi bienveillants que dangereux.

Gabrielle Lessard est hypnotisante dans son rôle de Nine. Fougueuse, candide, elle maîtrise avec virtuosité ce rôle d’enfant qui utilise son imagination comme protection contre les souvenirs lancinants et les questions trop franches du Morlock, intense et aussi forte que frêle. Elle réussit ainsi à créer une cohésion avec les décors fantaisistes d’Anne Frédérique Préaux dont les éléments se révèlent doucement au fil des inventions naïves et des révélations troublantes. La salle intime du Prospero sied parfaitement, d’ailleurs, à cet univers coloré poétique composé de dessins à la craie, d’une distributrice de Kool Aid et entouré de quatre portraits de Modeste Moussorgski aux murs. Au centre, le tapis beige du bureau du psychologue de Nine rappelle le désert de Gobi, ce lieu où les deux amis entreprennent un voyage onirique et espèrent s’y évader pour de bon. L’ambiance sonore assurée par Kristelle Delorme met judicieusement en évidence la souffrance qui habite toujours Nine avec un mélange de sons inquiétants et pesants avec une musique planante qui se veut la traduction d’un monde inventé de toutes pièces.

Colas+Nine©Colin_Earp-Lavergne_web
Jonathan Hardy (Colas) et Gabrielle Lessard (Nine) / Crédit: Colin Earp-Lavergne

 
Le contraste entre le monde imaginaire de Nine et la réalité qu’elle doit affronter avec son psychologue (Vincent Magnat) est bien maintenu par le jeu des comédiens, juste et puissant. Jonathan Hardy en Colas, l’ami imaginaire de Nine qui, tout comme elle, connaît la douleur d’être un enfant brisé et rejeté, rayonne dans ce rôle d’enfant venu d’ailleurs, présence surréaliste et attachante pour Nine autant que pour le spectateur. Vincent Magnat en Morlock, le tout premier psychologue et le seul parmi les autres à aider Nine à se libérer, joue sobrement et délicatement, laissant la place au caractère explosif de sa jeune patiente.

Emanuel Robichaud a admirablement guidé les comédiens et visité le texte de Suzie Bastien par sa mise en scène énergique, sensible et surprenante qui semble avoir fait le choix de se concentrer autour de la beauté de l’imagination et de l’espoir qui anime les êtres les plus abîmés. N’évitant pas l’issue quelque peu mélodramatique de la résolution du conflit de la pièce de Bastien, la mise en scène est cependant d’une grande richesse, lumineuse et empreinte d’une grande créativité de la part de tous les artistes impliqués.

Jusqu’au 7 mars 2015 au Théâtre Prospero