Oh les beaux jours : Catherine Frot dans les strates des jours qui passent
L’actrice Catherine Frot, canonisée par le cinéma français, prête ses traits à l’optimiste Winnie dans Oh les beaux jours de Beckett, dans une mise en scène sans surprises mais très nuancée de Marc Paquien. La production de la Compagnie des Petites Heures visite Montréal pour la première fois.
Difficile de trouver de nouveaux ancrages dans cette pièce de Samuel Beckett dont les didascalies précises et la structure rigide donnent toujours lieu à des mises en scène similaires. Fidèle à une tradition de respect scrupuleux du texte et de sa situation dramatique imposant l’immobilisme de l’actrice principale et des interventions minimalistes de son partenaire de jeu, cette mise en scène de Marc Paquien ne réinvente rien ni n’observe la pièce selon un regard neuf, sinon une accentuation de son ironie.
On peine à identifier l’urgence qui a poussé le metteur en scène à se coller à cette pièce, outre la nécessité de faire vivre le répertoire à travers la prouesse d’une grande actrice. Bien sûr, dans une perspective existentialiste, le monde est toujours aussi absurde et l’humain vit toujours dans l’attente de sa finitude annoncée, meublant le vide, comme Winnie, par une infinité d’actions et par une obstination à survivre. La pièce de Beckett aborde toujours avec maestria la peur de la mort, les affres de la vieillesse et du déclin, la tyrannie d’un quotidien dénué de sens. Mais force est d’admettre que Oh les beaux jours, quand elle est présentée de manière si classique, résonne moins fort à notre époque que dans la France du début des années 1960, encore marquée par le traumatisme de la 2e Guerrre mondiale.
Cette mise en scène cultive néanmoins un souci du détail à travers les changements subtils d’éclairages et une scénographie raffinée, multi-couches, comme par un jeu hyper-précis, architecturé par une gestuelle répétitive et soignée autant que par un verbe nuancé ainsi qu’une mise en relief particulièrement vive du comique de l’écriture.
Coincée dans un monticule (un immense mamelon, dit la didascalie), Winnie se réveille chaque jour et répète une série de petits gestes, manipulant une ombrelle ou une brosse à dent, mais surtout racontant la vacuité de son quotidien répétitif avec un étonnant entrain. « Oh, quel beau jour ce sera! », s’exclame-t-elle dans un enthousiasme qui fait contraste avec le caractère à vrai dire aride et inutile de son existence. Là se trouve l’ironie, et Catherine Frot, actrice comique par excellence, la met en relief avec une précision redoutable, soulignant par une infinité de nuances les espiègleries et les sarcasmes du personnage. Elle donne vie, de son appareil vocal solidement entraîné comme par un jeu facial élaboré, aux croisements incessants entre le tragique et le comique qui fondent cette pièce. Chez Winnie, la joie renaît continuellement malgré l’emmurement et le décharnement.
Les séquences évoquant un certain Piper, le dernier visiteur s’étant rendu près du mamelon, apparaissent plus comiques que jamais et renvoient, mieux que dans la plupart des autres mises en scène que j’ai pues voir (notamment celle de Brassard en 2008), le spectateur à lui-même, dans sa posture interloquée devant l’absurdité de la vie de Winnie (et la sienne, par effet de miroir). L’actrice se révèle également apte à transmettre l’amour puissant qui continue d’unir Winnie à son Willy, même si le bougre (Eric Frey) est particulièrement inerte.
Autrement, la scénographie transformant le monticule en rocher stratifié a le mérite d’être éloquente, racontant à travers ses replis les couches de gestes quotidiens accumulés et les années qui passent en laissant des traces nervurées sur l’environnement. Toute la réflexion de Beckett sur le temps et l’effritement s’y trouve joliment condensée.