m/Other + dark meaningless touch : La danse du vide
Audacieux chorégraphe de la relève, Benjamin Kamino s’aventure sous le degré zéro de la danse en mêlant concepts philosophiques et travail somatique. Il enfreint des tabous, contrarie les attentes et suscite le débat avec une proposition non-spectaculaire plutôt impénétrable.
Les deux œuvres programmées par Tangente sont fondées sur la pratique du dark meaningless touch, initialement élaborée par Benjamin Kamino comme forme d’entraînement. Le concept est complexe. L’idée est d’inviter l’autre par le toucher et d’accueillir soi-même ce toucher, mais de vider l’expérience de tout ressenti pour renforcer l’abstraction de la danse. La quête est celle d’une «danse d’avant le désir», une sorte de danse bouddhique qui libérerait l’esprit de la logique marchande et permettrait de trouver une nouvelle façon d’être ensemble. Oui, le concept est complexe et sa mise en application laisse perplexe.
La première performance, m/Other, est un duo de Kamino avec sa mère, Gabby Kamino, chorégraphe-interprète à Toronto. Tout l’espace est occupé par un plateau de bois blond au pourtour duquel le public s’assoit ou s’étend. Il est surplombé de grands lés de toiles blanches suspendus qui pourraient évoquer les strates de l’univers inconnu dans lequel on s’enfonce et complètent la matrice constituée par l’environnement matériel et humain. Pour défendre l’idée d’une différenciation identitaire du bébé in utero et recréer l’état des corps avant la naissance, les deux artistes sont nus. Pas comme au premier jour: le fils a marqué son corps gracile et longiligne de nombreux tatouages et les années ont généreusement enrobé celui de la mère qui bouge parfois avec difficulté. Tout en lenteur et entièrement livrée au sol, leur danse est faite d’enlacements, de roulades, d’amalgames sculpturaux et de caresses souvent données du dos de la main. Les poignets verrouillés, l’évitement soigneux de gestes potentiellement incestueux et les regards vides sont autant de grains de sable dans les rouages d’une intimité qui ne parvient pas réellement à éclore dans cette proximité. Mais quelle sorte de liens pourrait bien se tisser dans la pure abstraction du dark meaningless touch?
La question se pose autrement dans la proposition éponyme, livrée par Kamino et cinq autres danseurs qui invitent discrètement le public à se répartir librement sur l’ensemble du plateau et à s’y étendre pour sentir les vibrations (bien faibles) de la musique électroacoustique et hypnotique de Christopher Willes. Fondus dans la masse des spectateurs assis, couchés et parfois enlacés, les danseurs se meuvent selon le principe du dark meaningless touch, se dévêtissent en partie ou en totalité, se rhabillent, s’agglutinent en masse indifférenciée, s’arrêtent pour lire à voix basse des extraits de livres à teneur politico-philosophique. L’esprit plane des années 1960 et du mouvement hippie. À la faveur de l’ambiance tamisée et totalement décontractée, on discute, on s’embrasse, on feuillette un bouquin… On s’ennuie ferme aussi et on s’interroge sur le sens de cette danse qui soliloque et qui vide plus qu’elle ne nourrit.
Jusqu’au 27 février au Théâtre Aux Écuries