Simon Drouin / La jeune fille et la mort et Les oiseaux mécaniques : La musique du pouvoir
Scène

Simon Drouin / La jeune fille et la mort et Les oiseaux mécaniques : La musique du pouvoir

Avec le Bureau de l’APA, leur troupe interdisciplinaire et indisciplinée, Simon Drouin et Laurence Brunelle-Côté réfléchissent dans les spectacles La jeune fille et la mort et Les oiseaux mécaniques aux différents conditionnements qui nous habitent, inventant une folle esthétique d’accumulations scéniques.

Ils sont encore presque un secret bien gardé, et leur travail peut certainement décontenancer les adeptes de linéarité narrative, mais l’arrivée du Bureau de l’APA dans le paysage théâtral a été, il y a quelques années, une excellente nouvelle pour ceux qui aiment le théâtre de recherche et les esthétiques polyphoniques. Chez Simon Drouin et Laurence Brunelle-Côté, les influences sont multiples et les manières d’habiter la scène le sont tout autant, dans un chaos scénique duquel se dégage une infinité de sens. Mais n’allez pas les accuser de manquer de cohérence ou de raconter tout et n’importe quoi. Car ils tissent des chemins bien balisés, même s’il peut y avoir apparence du contraire. 
 
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Dans La jeune fille et la mort, dont les représentations viennent de se terminer à l’Espace Libre, comme dans Les oiseaux mécaniques, qui prend l’affiche cette semaine, Drouin et sa bande inventent un foisonnement scénique hétéroclite pour interroger, patiemment, les mêmes grands thèmes: les mécanismes du pouvoir, la soumission de l’humain aux cultures dominantes (qu’elles soient classiques ou populaires), l’anticonformisme et le libre arbitre, trop souvent mis à mal par l’humain en quête de communion avec autrui ou avec son époque. Dans La jeune fille et la mort, c’est à travers la reconstitution d’une leçon scolaire au sujet du livre Premiers matériaux pour une théorie de la Jeune-Fille, de Tiqqun, que se déroule l’expérience, agrémentée de différentes performances et de la musique d’un quatuor à cordes. Dans Les oiseaux mécaniques, c’est la forme du concert qui est tourneboulée, à travers le détournement de la Neuvième symphonie de Beethoven.
 

 
Ils ont la volonté d’orchestrer des chaos scéniques, donc, ou de désordonner la scène. Pour lutter contre les dogmes et les académismes? Pour embrasser le mouvement naturellement tortueux de la pensée humaine? «Le désordre fait partie de notre élan créatif, explique Simon Drouin. On joue avec la notion d’équilibre et de déséquilibre, on aime être déstabilisés, et je dirais même qu’en tant que consommateurs d’art, on n’aime pas nécessairement comprendre les œuvres qu’on fréquente; on préfère l’art qui flirte avec un haut degré d’abstraction, qui ouvre des portes sans toujours les fermer. Laurence et moi, on aime que la scène devienne une zone de turbulence. On y trouve, je pense, une grande vérité.» 

Ils ne sont pourtant pas allergiques aux discours organisés et structurés, qu’ils invitent dans leurs spectacles sous différentes formes, ne craignant jamais l’intellectualisme. Ainsi, le critique de théâtre Alain-Martin Richard fait partie de la distribution des Oiseaux mécaniques, où il fait, d’une manière chaque soir différente, de la critique en direct, tout en s’intégrant par moments à la partition corporelle des autres comédiens.
 


 
«Nos spectacles, finalement, parlent de pouvoir en cherchant ce pouvoir dans différentes formes de discours. En reprenant plus ou moins la structure scolaire, La jeune fille et la mort nous a permis de remettre en question la notion de cadre, de soumission à des cadres de vie et à des structures sociales. À travers la forme du concert, dans Les oiseaux mécaniques, c’est une autre expérience commune culturelle, avec ses codes précis, que nous essayons de détourner pour provoquer une réflexion sur l’embrigadement volontaire ou non dans les cadres sociaux. On propose au spectateur d’en faire l’expérience, à vrai dire, au lieu de les soumettre à un discours sur ce sujet.»

La musique, qu’il s’agisse de Schubert ou de Beyonce, a un pouvoir infini sur l’homme, qui y adhère souvent sans se poser trop de questions, se soumettant volontairement à son aliénation. C’est à partir de ce constat que Simon Drouin et son équipe ont conçu Les oiseaux mécaniques, dont le titre fait référence à la serinette, utilisée pendant la Renaissance pour apprendre aux oiseaux des mélodies qui ne leur étaient pas naturelles.

«La musique organise le chaos, dit l’artiste, et on dirait parfois qu’elle permet à n’importe quelle parole de prendre de la puissance et de devenir séduisante. On trouve que c’est un pouvoir un peu effrayant. La musique est ainsi une sorte de pouvoir omniscient, dont on se sert dans le spectacle comme illustration d’un pouvoir qui opère dans notre monde en dehors du discours. C’est une métaphore de la manière dont le pouvoir réside finalement toujours dans la forme plutôt que dans le fond. Ça s’applique à la musique pop comme aux discours des politiciens…»

Les oiseaux mécaniques, à l’Espace Libre jusqu’au 14 mars