Sébastien Ricard et Brigitte Haentjens / Richard III : L’homme qui aimait être regardé
Homme de pouvoir ou homme aliéné par un ego surdimensionné? Richard III, que monte Brigitte Haentjens au TNM avec Sébastien Ricard, est certainement tout ça. Mais c’est aussi, disent-ils, un homme archi-conscient des autres, qu’il intègre consciemment dans son jeu de massacre politique.
On aime bien considérer le duc de Gloucester comme un monstre tyrannique, un être immonde qui a soif de sang et de pouvoir, prêt à tout pour parvenir à ses fins. Vrai que Shakespeare le dépeint, à première vue, comme un dictateur qui enchaîne les meurtres sans broncher dans le seul but d’accéder au trône. Mais Brigitte Haentjens, qui se mesure à Shakespeare pour la première fois, veut à tout prix éviter la caricature de l’être difforme qui joue au massacre par plaisir sadique. À vrai dire, on s’étonne de voir cette adepte de Brecht et d’Heiner Müller se passionner hautement pour la psychologie, complexe et abyssale, du mythique personnage.
«Quand on s’intéresse à Richard III, dit-elle, on commence par analyser sa quête de pouvoir et à remettre en question la notion du pouvoir politique vicié. Mais c’est peut-être davantage son narcissisme et sa volonté d’élévation qui me passionnent. Sa monstruosité n’est pas aussi importante que sa combativité. C’est un battant, un guerrier. Il cherche l’absolu, comme un personnage romantique.»
Le comédien Sébastien Ricard, lui aussi à ses premières armes chez Shakespeare (sauf une courte apparition dans Hamlet au Rideau Vert en 1999), parle quant à lui d’un personnage «existentialiste». «Parce que son origine et sa constitution ne sont pas à ses yeux des fatalités ou des encombrements qui déterminent sa vie. Il prend son destin en main; il fait les choses à sa façon.»
Dans une traduction de Jean-Marc Dalpé, qui va «faire vibrer différents niveaux de langue», la mise en scène de Brigitte Haentjens promet une mise en tension de sa blessure psychologique avec la notion de collectivité. «On a la volonté, dit-elle, que le peuple soit sur scène, que la tyrannie qu’exerce Richard ne soit pas abstraite, que soient exposées les victimes de son pouvoir.» Le personnage, conscient du caractère public et politique de chacun de ses gestes, s’amuse d’ailleurs comme un acteur récoltant les applaudissements, dans cette mise en scène qui accentue la métathéâtralité.
«Richard est vraiment comme un acteur, dit Sébastien Ricard. Il fait des apartés pour rendre le public complice du jeu de massacre qui aura lieu sous ses yeux. Il aime être regardé et en fait sa quête de tous les instants – c’est un narcissique pervers. Mais il est aussi fin politicien, orchestrant devant nos yeux un atroce spectacle politique que nous regardons sans sourciller. Il s’assure que chacune de ses paroles, même celles qui sont a priori intimes, est entendue et vue, mais aussi relayée, discutée, qu’elle fait partie du bruit ambiant.»
Boiteux et difforme, Richard III n’en est pas moins un séducteur qui accumule les conquêtes. Son rapport à la féminité est tordu, pense Brigitte Haentjens. «Il y a un mystère autour des raisons qui mènent ces femmes à se laisser séduire. Je ne sais pas, d’ailleurs, si les femmes l’intéressent vraiment; ce n’est pas un jouisseur comme Valmont. Il accumule les conquêtes parce qu’il en a besoin dans sa quête de pouvoir. Et les femmes dans cette pièce sont les seules qui soient capables de lui opposer une véritable résistance.»
«Il est capable de déployer des moyens de séduction proprement étonnants, poursuit Ricard, sachant se servir de sa difformité pour séduire. Il a l’audace de tourner à son avantage ce qui dégoûte les gens – il montre qu’en vérité, le dégoût et le désir sont souvent des sentiments très proches l’un de l’autre. La scène avec Lady Ann, notamment, est extraordinaire à cet égard.»