Tungstène de bile : Remonter jusqu’à la tiédeur
C’est dans un cabaret des jours semi-glorieux que J-F Nadeau et Stéfan Boucher nous invitent à la découverte de Tungstène de bile.
La poésie des 16 textes de J-F Nadeau, tirés du recueil Tungstène de bile (L’écrou) en 2013, se glisse aisément sur scène, avec un fracas assumé, sur les sons et musiques de Stéfan Boucher. Sur l’étroite scène construite pour l’occasion, Nadeau débite ses poèmes, créés assurément pour être racontés devant public, avec la complicité de Boucher, pilier sonore de ce cabaret du supermarché des demi-beautés et des trois-quarts-de-bon-gars.
Boucher s’y dresse comme un chef d’orchestre, répondant avec virtuosité et jouant avec Nadeau, véritable maître de cérémonie, qui lui en donne toujours plus. Si la soirée commence tranquillement, avec certaines chutes de poèmes escamotées, privant le public de leur éclat, les deux protagonistes reprennent le dessus, peu à peu.
Cette grande maladie du siècle qu’est le quotidien y est déclinée, en 16 tableaux, où les antidépresseurs et autres drogues et médicaments populaires viennent teinter le caractère des personnages mis en scène par Nadeau. Ce dernier, dans une approche près de celle de l’improvisation – où il excelle régulièrement -, propose un survol de la [d]ictature d’ignorance / générosité précieuse / lâcheté consciente / confort nécessaire, tout en laissant une belle place à son complice qui s’essaiera autant au chant qu’à la basse, au bidouillage et à un cadeau folk d’un sale roi mage.
Lorsque Boucher reprend le chant, Nadeau en profite pour créer un petit interlude, où tant lui que les spectateurs peuvent se rafraîchir. Et c’est reparti, avec un douchebag en chest, sans rythme. Pas l’temps de niaiser, comme aurait dit l’autre.
Alors que les références textuelles de Nadeau donnent dans le local et la génération "passe-partout/Kurt Cobain", le spectateur embrasse Gohier, Maureen, Stella, Marie et les autres, un Bulletin spécial qui devient une pièce rock hyper accrocheuse, une séduction incarnée dans I Want To Be Drew, un Lave-auto qui devient le théâtre de la réalité des hommes et qui mène Nadeau aux larmes, le tout dans un "mégadrame commun". C’est l’angoisse du temps qui passe, c’est le rêve américain dévissé, c’est un joyeux mélange anglo-franco, dit, chanté, raconté, avec brio, malgré quelques ajustements du côté du débit et du rythme, lors des premiers tableaux.
C’est en remontant jusqu’à la tiédeur que Nadeau et Boucher forcent la réflexivité du spectateur, dans ce cabaret qui tend parfois vers une soirée à la bonne franquette, parfois dispersée. C’est intime et chaleureux, bien sûr, mais aussi acerbe, exigeant et éclatant de vérités.
Jusqu’au 4 avril, à la salle Jean-Claude-Germain du Théâtre d’aujourd’hui.