Annick Lefebvre / J’accuse : Prendre parole pour survivre
Annick Lefebvre offre des personnages féminins forts et ambitieux qui prennent leur place dans un «militantisme de l’intime» avec J’accuse, pièce de cinq monologues distincts où la parole est instinct de survie.
«Ce que je trouve un peu regrettable, où je trouve que la « lutte féministe » reste à faire, c’est qu’il y a quand même peu de rôles intéressants, de jeunes personnages féminins forts, complexes, en dehors des stéréotypes sur nos scènes.» Si la présence de femmes sur les scènes québécoises est riche et que leur parole est entendue, il n’en reste pas moins que cette lacune des rôles à camper est bien réelle pour l’auteure.
J’accuse interroge et traite de la place du travail en société dans la perspective du combat à mener chez les femmes pour l’équité et l’égalité encore aujourd’hui. Une présence de personnages féminins s’est alors naturellement imposée à l’auteure pendant le processus d’écriture. «Je pense qu’inconsciemment, c’est ce qui m’a poussé à mettre juste des filles sur scène, doublé du fait qu’il y a énormément de jeunes actrices qui sortent des écoles qui ont une pensée sociale, politique, et qui sont engagées dans des causes, mais qui n’arrivent jamais à défendre tout cela sur scène.»
Écrit sur cinq ans, le texte est une synthèse de petites enquêtes d’observations sociales qu’Annick Lefebvre a commencées il y a plusieurs années. En donnant la parole à des femmes qui s’éloignent des personnages féminins clichés trop souvent présentés au théâtre, l’auteure s’ancre dans une parole profondément libre et actuelle.
«C’est vraiment comme de petits manifestes, non pas hurlés sur la place publique, mais qui ont été intériorisés. On a donc accès à des manifestes internes, sensibles et personnels de la part des personnages. C’est aussi la parole qui va les dépasser et les rattraper: le personnage arrive dans le but de raconter quelque chose, mais va finalement dévoiler autre chose. Il devient un peu l’accusateur accusé dans cette espèce de spirale sociale que j’ai essayé de mettre en scène.»
Sans ne jamais douter de l’effort et de la bonne volonté de ceux qui plongent dans l’exercice difficile de faire dans le théâtre engagé, l’auteure croit qu’il y a un certain mordant absent sur les planches. «Je trouve que le théâtre n’est pas assez radical. C’est facile de mettre en scène, dans une pièce, des propos de gauche contre le gouvernement en place. C’est prêcher à des convertis! Le personnage que va interpréter Catherine Trudeau est une femme de droite qui dit tripper sur Jeff Fillion; c’est pas vrai que cette fille-là a moins de raisons de penser ce qu’elle pense. Il faut aussi que cet engagement social là ne soit pas seulement pour faire passer ses points de vue politiques, mais qu’il soit dans un sens plus large, question d’avoir des antennes sur sa société.»
Léane Labrèche-Dor, Ève Landry, Debbie Lynch-White et Alice Pascual complètent la distribution de ces prises de parole qui seront mises en scène par Sylvain Bélanger.
Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui (Montréal) du 14 avril au 9 mai 2015
Au Théâtre de la Bordée (Québec) du 10 janvier au 4 février 2017*
* Cette fois, cependant, Ève Landry sera remplacée par Catherine Paquin-Béchard