Would / Mélanie Demers : Le champ des possibles
Scène

Would / Mélanie Demers : Le champ des possibles

Sociologues, scientifiques et philosophes se posent tous la même question insoluble: les utopies sont-elles condamnées à l’échec? C’est aussi l’interrogation infinie qui a motivé la chorégraphe Mélanie Demers à créer Would avec les danseurs Marc Boivin et Kate Holden.

Au sein de sa compagnie Mayday, Mélanie Demers a conçu des spectacles lucides mais généralement pessimistes, où règnent le second degré et l’autodestruction. De Junkyard paradise à Goodbye, ses danseurs évoluent sur une scène jonchée de déchets ou dans un monde d’autoreprésentation où se dissout inéluctablement leur identité, ne leur laissant que le factice et l’ironie comme possibilités d’avenir. Dans la vie, sa personnalité est souriante et sympathique, mais si vous lui demandez de raconter sa croyance en un monde harmonieux, elle risque de vous répondre par la négative. «L’échec des utopies collectives et des grands modèles de vie en société, dit-elle, nous empêche aujourd’hui de considérer l’idée même d’utopie comme une chose possible – la notion d’échec lui est désormais intimement liée, intrinsèquement imbriquée.»

Mais puisqu’il faut bien survivre et faire perpétuer l’humanité, Demers a bien voulu mettre ses lunettes roses en 2013 quand elle a créé Would à Toronto, dans un nouveau territoire de création où son champ des possibles s’est élargi, en compagnie d’interprètes d’ailleurs peu habitués à son répertoire, Marc Boivin et Kate Holden.

«C’est un spectacle porté par un regard un peu ingénu. Je voulais croire au futur, au meilleur, au plus grand que soi. Si on a été rattrapés en cours de route par la notion d’impossibilité de l’utopie, on a quand même créé une pièce plus positive que mes précédentes. J’y suis moins dans le sarcasme, moins dans l’ironie, moins dans le second degré ou dans l’autoreprésentation. On a même flirté avec un peu de sentimentalisme, sans en abuser. Je pense que ces interprètes m’ont permis ça. Ils sont plus purs, en quelque sorte. Quelque chose de très tragicomique se dégage de la pièce.»

Potentialités et utopies sont ici envisagées autant à une échelle personnelle (le devenir de soi) qu’à une échelle collective (l’unisson humain). «On a élaboré, précise-t-elle, le langage corporel du spectacle en imaginant un corps animé par ses tentatives d’évoquer le devenir de l’humanité ou les futurs possibles du monde.»

Mais comment inventer cette gestuelle de la potentialité sans sombrer dans une forme éculée de futurisme ou de danse de l’élévation de soi? «On a travaillé sur l’idée d’un unisson impossible à répéter, à faire perdurer. Les deux interprètes sont invités à créer en permanence une potentialité d’harmonie, mais qui demeure toujours perméable, improvisée, fragile parce que propice à être constamment brisée ou interrompue par la fulgurance de l’instant, par l’impossibilité de maîtriser ce qui se passe. Comme si les danseurs étaient constamment en train de résoudre une équation, qui est toujours à recommencer.»

Spectacle au rythme un brin plus lent qu’à son habitude, il a aussi permis à Mélanie Demers d’élargir son propre champ utopique. «Je me suis débarrassé de mon "frénétisme" chorégraphique pour me projeter moi-même dans un autre devenir possible, dans une utopie par rapport à mon propre travail.»