Benoît Drouin-Germain / Ludi Magni : Que le meilleur gagne
Scène

Benoît Drouin-Germain / Ludi Magni : Que le meilleur gagne

Narcissisme, exposition de soi et quête assoiffée du regard de l’autre: ce sont les sujets de l’heure sur la scène montréalaise. Dans Ludi Magni, le comédien Benoît Drouin-Germain en fait le motif d’un spectacle de «lutte» vaguement inspiré des compétitions sportives romaines, dans une arène où les ego s’affrontent.

Ils sont quatre. Des comédiens, armés de leurs ego triomphants, qui s’affronteront pour récolter la faveur populaire. Dans le coin gauche, Mathieu Quesnel; dans le coin droit Marie-Pier Labrecque; et aux autres extrémités Christophe Payeur et Sonia Cordeau. Ils sont jeunes, beaux, et surtout compétitifs. Leurs armes, ce sont eux-mêmes, leur image, factice ou intimiste, comme leurs vies privées, offertes aux regards dans un mélange de vrai et de fabriqué.

«Je ne suis pas sociologue», dit Benoît Drouin-Germain, qui signe en collaboration avec Daniel Brière une première mise en scène au sein du Nouveau Théâtre expérimental  après avoir été l’un des acteurs remarqués de la trilogie L’histoire révélée du Canada français. «Mais je ressens l’urgence de parler des compétitions sociales dans nos vies. Au boulot, dans nos familles, sur les réseaux sociaux, dans les téléréalités ou les concours télévisuels, tout le monde semble croire qu’il faut sauter dans l’arène et gonfler son ego en le comparant à celui du voisin.»

Pas question d’observer le phénomène de haut, toutefois. Le comédien n’échappe pas à son temps et confie qu’il adore regarder La Voix. Ou qu’il ne peut s’empêcher d’aimer, au théâtre, «les autofictions les plus assumées, à travers différentes formes de voyeurisme». «J’aime ça passionnément, même si je critique la vacuité qui réside dans cette compétition sans fin pour déterminer qui aura l’histoire la plus savoureuse ou la vie la plus particulière.»

S’il s’inspire des Ludi Magni, «les jeux les plus prestigieux du calendrier romain», il en propose une adaptation «très libre», disant y chercher surtout «un caractère festif», à travers le principe des «affrontements théâtraux». La formule du combat romain permet d’aborder, de manière ludique, notre besoin de «juger les autres», et elle permet même de réfléchir à la démocratie d’aujourd’hui, à travers un regard sur «les modèles qu’on élit, sur les gagnants qu’on choisit collectivement». «Pourquoi Kevin Bazinet? Pourquoi Couillard? Souvent, nos choix collectifs me désarçonnent.» C’est aussi un regard sur la ludification de la vie: ce spectacle promet d’être un véritable jeu.

Dans l’arrière-plan de ce ludique combat de personnalités se déploient aussi les pensées de Rousseau ou de Nietzsche. La soif de compétition et le besoin de se sentir supérieur à l’autre, évidemment, ne datent pas d’hier. Drouin-Germain ausculte notre époque en se nourrissant des écrits de ses prédécesseurs. «Je me passionne vraiment, par exemple, pour un essai de Carlo Strenger, La peur de l’insignifiance nous rend fous, dans lequel il affirme plus ou moins que tous nos problèmes viennent des campagnes comme celles de Nike (Just Do It), nous faisant croire que tout le monde peut être tout ce qu’il veut et nous ramenant violemment à notre insignifiance quand nous échouons.»

Sur la scène de l’Espace libre, c’est vous qui déciderez qui gagne et qui perd. La lutte sera épique ou ne sera pas.

Du 21 avril au 9 mai à l’Espace libre