Festival du Jamais Lu : Se réapproprier l'essentiel
Scène

Festival du Jamais Lu : Se réapproprier l’essentiel

Les textes de la présente édition du Jamais Lu abordent la question de l’appartenance sous toutes ses coutures. La directrice artistique Marcelle Dubois et l’auteur Philippe Ducros visitent de façon dissemblable la dépossession territoriale, identitaire et culturelle en soulignant avec force la nécessité de se réapproprier ce qui se doit d’être défendu.

Habiter les terres de Marcelle Dubois, c’est la révolte de cultivateurs de navets face à un gouvernement qui ferme la route menant au nord. La région natale de l’auteure, l’Abitibi-Témiscamingue, «un pays impossible, à la fois rugueux et magnifique», est à la base de cette fable magique de contre-pouvoir, de cet hommage aux habitants qui décident de s’y ancrer et d’affronter les défis uniques qu’elle présente. «Pour moi, ces gens-là font vivre le pays au quotidien: ils font vivre les frontières de notre pays, ce qu’on nomme notre fameuse « identité boréale ». On a en même temps un déni complet de ça, car ils ne font pas dans la rentabilité: il y a un rapport trouble.» Une révolte qui ira jusqu’à l’enlèvement d’un ministre, joignant les ours et les outardes à la lutte rurale. «Jusqu’où a-t-on le droit de se battre pour des idées et pour être entendu par des pouvoirs officiels? C’est légitime, parce que ces gens-là sont complètement ignorés ou bafoués et, en même temps, il y a une dose de « terrorisme » dans ce geste-là et c’est discutable.» Des mouvements citoyens actuels, l’auteure espère qu’émergeront des solutions lumineuses qui naîtront d’abord dans l’imaginaire… et dans l’impossible.

Philippe Ducros / Crédit: David Ospina
Philippe Ducros / Crédit: David Ospina

 

Philippe Ducros a parcouru les réserves amérindiennes et approfondi ses connaissances déjà bien établies sur la question autochtone au Québec avec des bilans de témoignages, d’observations et de recherches pour créer Réserves / Phase 1: la cartomancie du territoire. «Mon premier but, c’est d’entreprendre un vrai dialogue de fond et de parler de cette blessure-là qui existe chez les Autochtones. Ce sont des gens qui sont en train de se réapproprier leur destinée, de se revaloriser.» Côtoyant et ayant côtoyé certaines nations autochtones, conscient des réalités distinctes d’une nation à l’autre, l’auteur observe cependant une triste constance. «Chez les Innus, les Attikameks et les Anishinabes, on parle beaucoup des pensionnats. Ça a été un événement extrêmement traumatisant. C’est le scalp d’une culture: on les a vraiment acculturés. Si on va chez les Micmacs, on a vraiment très peu de ce qu’on appelle les residential schools; pourtant, les statistiques sont les mêmes sur les agressions sexuelles, les suicides, les problèmes de consommation. Donc le problème est assez complexe et intéressant. Ce que je découvre beaucoup, c’est à quel point l’oppression vient du gouvernement fédéral à cause de la Loi sur les Indiens: les Autochtones au Canada sont tous sous leur tutelle.»

Trop peu abordée au Québec au cœur des débats de société, la réalité autochtone, aussi variée soit-elle, pourra au moins bénéficier du travail documenté et sensible de Philippe Ducros au théâtre. «Il y a un désir de parler d’une blessure, la blessure autochtone, et à travers ça un désir personnel d’introspection pour voir qu’est-ce qui m’appartient dans cette blessure-là en tant que colonisateur et en tant que colonisé. De voir qu’il y a des valeurs autochtones qui font partie de notre mode de vie et dont on a honte, bien souvent, et que ces valeurs-là sont menacées et l’ont été depuis toujours.» Philippe Ducros sera sur scène avec les artistes innus Kathia Rock et Marco Collin, où il explorera, en plus, notre propre comportement face à ces questions. «Il y a tout un aspect d’économisation et d’importance du territoire, de la langue, et à travers ça, j’essaie de parler aussi de notre rapport avec le territoire, de ce que nous on fait avec nos forêts, et à quel point on se colonise nous-mêmes.»

S’appartenir(e), en spectacle d’ouverture, rassemble huit femmes qui sondent la notion d’appartenance en tant que femme, collectivité, culture et individu, tandis qu’en clôture, Justin Laramée (codirecteur de cette édition du festival) signe un texte écho, (Y) tenir, invitant des auteurs masculins à rendre hommage aux femmes et à partager leurs visions sur elles. Le Festival regroupe les lectures théâtrales d’une trentaine d’artistes, avec entre autres les contributions de Simon Boulerice, Marie-Hélène Perron, Marianne Dansereau et du collectif Les Poids Plumes.

Réserves Phase 1 : la cartomancie du territoire sera lu le 5 mai à 20 h
Habiter les terres sera mis en lecture le 7 mai à 20h
Aux Écuries
Le festival du Jamais Lu se déroule du 1er au 9 mai 2015