Hélène Blackburn / Symphonie dramatique : «De la danse qui danse»
La non-danse? «Pu capable». Le travail d’Hélène Blackburn s’inscrit en opposition à ce courant-là et met plutôt en valeur les habiletés techniques des interprètes. Entrevue avec une chorégraphe fougueuse dans le studio comme à la ville.
On a affaire à une femme d’expérience, une créatrice inspirée et une administratrice redoutable qui a d’ailleurs aidé le grand Édouard Lock à redresser les finances de La La La Human Steps. La compagnie d’Hélène Blackburn, Cas Public, célèbre d’ailleurs ses 25 ans en 2015. Habituée aux tournées et coproductions françaises, la Montréalaise porte un regard (très) critique sur le milieu de la danse au Québec. «Y’a une grande quantité de créateurs, mais moi je trouve qu’il y a peu de diversité dans la danse actuellement. Il y a beaucoup, beaucoup de produits très similaires. Les gens disent que les diffuseurs prennent beaucoup de risques, mais comment vendre le huitième show pareil? Un milieu sain c’est un milieu où il y a toutes sortes de choses qui émergent.»
Selon elle, la scène d’ici est aussi un peu en retard sur les tendances mais aussi repliée sur elle-même. «J’ai la chance de voyager beaucoup et de pouvoir prendre du recul.» Elle s’interroge aussi le manque d’intérêt vis-à-vis la production de spectacles jeunesse, sa talle depuis de nombreuses années. «Quand t’as 160 petits enfants en France qui font trois rappels, et que c’est plus intuitif que résonné, y’a quelque chose de tellement émouvant. Tu vas faire des grandes, grandes salles, tu vas voir des pièces à l’Opéra et tu vas faire des grands plateaux comme à Garnier… J’ai l’impression que les gens applaudissent parce qu’ils ont payé leur billet cher. Ils vont apprécier de manière très égale des merdes et des bonnes pièces. Comment se fier à ce public-là?»
Sa plus récente création, Symphonie dramatique, s’adresse directement aux ados. La pièce se base sur Roméo et Juliette, texte indémodable de Shakespeare. Des extraits seront d’ailleurs interprétés sur scène par Marc-André Poliquin, un comédien de formation qui danse aussi. «Je peux pas imaginer que c’était plus contemporain, il y a 400 ans, cette histoire-là. Aujourd’hui on a toutes ces différences de cultures, de races, de religions à surmonter. Surtout pour les plus jeunes générations, le mouvement des populations pose des réels défis sociaux. Je pense notamment à la fameuse Affaire Shafia, tout ça à cause de l’histoire d’amour d’une des petites filles. […] Les faits divers dans les journaux regorgent d’amour.»
Ce spectacle-là elle le dédie à sa fille, amoureuse d’un franco-marocain à la peau noire et de confession musulmane. À elle, mais aussi à tous ces couples-là qui s’aiment malgré les embuches.
L’influence du ballet
Si certains chorégraphes en danse contemporaine renient leur bagage en ballet, c’est tout le contraire pour Hélène Blackburn. Chez Cas Public, les pointes sont un prérequis.
On reconnait aussi la signature de la Chicoutimienne d’origine au synchronisme. «Les grands mouvements de groupe moi j’aime ça. J’aime ça les ensembles, la puissance d’une masse qui bouge ensemble. Ça me parle, je fais pas que ça mais j’aime ça créer des moments où il y a des grands unissons.»
L’autre truc qui la différencie de la plupart de ses collègues ces années-ci? Les vêtements qu’elle fait porter à ses interprètes. «Même quand j’ai créé pour adultes, je suis pas très friande de la nudité. Je trouve que ça sert très rarement le propos. Y’a des fois que c’est très réussi et quand ça l’est c’est très fort. Mais je trouve qu’il y a eu beaucoup de choses qui étaient, à la limite, de la pornographie pour intellectuels. Les photos de spectateurs se retrouvent sur des sites. C’est arrivé à plusieurs compagnies.» Puis elle ajoute: «Mais je serais pas capable de faire un show comme Olivier Dubois parce que je suis pas conceptuelle.» Elle dit réfléchir sur la technique et sur l’évolution du corps dansant.
Prokokiev remix
La musique de Symphonie dramatique a, une fois de plus, été enregistrée par son complice Martin Tétreault. Une trame sonore qui inclut des relectures de Tchaïkovsky, Berlioz, Prokokiev et Gounod. D’ailleurs, Alexandre Désilets réinterprète une pièce du compositeur français. Je veux vivre dans ce rêve, un air popularisé par Maria Callas. «Il nous a fait quelque chose de très folk. C’est drôle, moi je pensais qu’il irait dans les hauteurs mais finalement pas du tout. […] L’idée c’était de montrer un air d’opéra célèbre et de montrer que c’est juste une chanson.»
Secret de production pas banal: le chanteur aurait fait partie de la distribution de danseurs s’il n’était pas parti en studio pour enregistrer Fancy Ghetto.
Les 16, 17 et 18 avril à 20h
Salle Multi de Méduse