Sylvie Léonard / Les deux voyages de Suzanne W : La solitude des grands espaces
De retour à Montréal après avoir joué sur les planches françaises pendant deux ans, Sylvie Léonard retrouve le public montréalais avec Les deux voyages de Suzanne W., pièce hybride entre cinéma, musique et théâtre où un roadtrip vers une destination impromptue façonne le destin d’une femme et d’un jeune routard.
Dix jours de voyage sur la route jusqu’à Waskaganish, à rouler à travers les grands espaces vertigineux et le territoire des communautés autochtones cris, à filmer ce roadtrip particulier pour accumuler des images qui entoureront la voiture de Suzanne W. et son périple jusqu’au nord du Québec: c’est cette démarche qu’a entreprise Marc Lainé afin de créer l’atmosphère et les grands thèmes du spectacle. Le metteur en scène, auteur et scénographe de la pièce a approché Sylvie Léonard avec plusieurs idées instinctives sur le texte, dont les fondements du personnage de Suzanne. «Il avait quand même un synopsis. Il est revenu avec des images, il nous en a présenté quelques-unes et m’a dit: « Cette femme-là, je vais l’écrire en pensant à toi, si ça te convient ». Il a écrit sa pièce, m’a envoyé quelques premiers jets. Son écriture, de toute façon, m’a séduite, autant que sa façon de vouloir monter ce spectacle-là.»
La pièce a d’abord été créée à Paris d’un processus créatif collectif, mené par Marc Lainé; une manière nouvelle de travailler qui a fortement plu à la comédienne. «On se retrouvait sur un plateau à la salle du Buisson, avec la voiture et les éléments de décors et, bien sûr, des choses qui se rajoutaient au fur et à mesure. Le concepteur d’éclairage (Kévin Briard), Baptiste Klein à l’image et à la vidéo et Morgan Conan-Guez au son étaient là, et tout ce monde-là répétait en même temps: le show se créait.»
La voiture devient le lieu principal des voyages réels et oniriques qu’entreprendront Suzanne et son compagnon de route. Suzanne, d’abord cloîtrée à l’intérieur de son véhicule, assoupie par les gaz d’échappement qui ont rempli le garage, se fait réveiller par un jeune routard (Pierre-Yves Cardinal) qu’elle accepte de faire monter. «C’est un lieu unique dans lequel il y a plusieurs lieux qui sont complètement étrangers les uns aux autres, avec une temporalité qui est complètement différente elle aussi.» Le premier voyage avorté de Suzanne se transforme en nouvelle aventure vers le Grand Nord aux côtés d’un inconnu qui dit vouloir y rejoindre une femme (Marie-Sophie Ferdane).
À cette scénographie s’ajoutent des caméras filmant de très près l’action à l’intérieur du véhicule. «C’est une contrainte qui est devenue un repère. Ne serait-ce que la voiture, aussi, qui est une contrainte: on joue souvent tous les deux les fenêtres fermées. Tout ça a été un ensemble d’éléments, une espèce de coffre d’outils qui s’est précisé de plus en plus et qui a donné cette forme-là.»
Un lieu restreint où se vivent les périples réels et oniriques des deux personnages. «Quand Marc nous disait que chaque personnage fait un voyage initiatique, c’est vrai; on se retrouve dans ces étendues et ces paysages désertiques à perte de vue, ce qui fait qu’en même temps, dans l’immensité de ces territoires-là, se crée une angoisse intérieure très, très forte, une grande solitude: c’est comme si on connecte beaucoup avec l’intérieur de nous-mêmes. Donc, inévitablement, on se retrouve dans un carrefour où on se pose des questions sur nous-mêmes. Et c’est un peu ce que Suzanne décide de faire en partant, sauf que sa trajectoire va changer à la rencontre de ce jeune homme où là, tout va basculer.»
Avec le roadtrip vient inévitablement une trame sonore qui se doit d’être appropriée, d’où l’idée de faire jouer le groupe franco-américain Moriarty sur scène, qui signe une musique originale composée pour l’événement.