Mylène Mackay / Je te vois me regarder : Dictature de la beauté
Elles sont de retour et s’attaquent au sujet de l’heure : le narcissisme ambiant! Après Elles XXX, spectacle féministe aux allures de manifeste, Mylène Mackay et sa compagnie Bye Bye Princesse offrent Je te vois me regarder, un spectacle tout aussi éclaté mais qui remplace la colère par la réflexion, tout en mettant en scène des corps performatifs.
Voici une jeune compagnie qui a de la suite dans les idées. Pour Bye bye princesse, pas question de s’éparpiller: elles sont féministes et en feront l’objet de tous leurs spectacles, dans une époque où ledit féminisme renaît et se complexifie, se matérialisant dans une grande diversité de prises de parole. Elles sont des féministes de leur temps, adeptes de multiperspectivisme et sachant exprimer leur féminisme par des voies multiples, dans un théâtre qui flirte avec la danse, la performance, le pamphlet et la métaphore. Cette fois, elles font aussi œuvre de mise en perspective historique, flirtant notamment avec la rhétorique platonicienne. La comédienne Mylène Mackay est sur scène avec la danseuse Victoria Diamond, et les demoiselles savent s’entourer : Alice Ronfard et Benoît Rioux sont à la mise en scène, Manon Oligny aux chorégraphies.
Réfléchir à la condition féminine en 2015, c’est nécessairement ausculter de long en large la problématique de l’image féminine telle que la véhiculent les médias mais aussi telle que la reconduisent les femmes elles-mêmes dans leurs mises en scène de soi sur les réseaux sociaux. C’est à cette obsession de l’image et du regard sur soi que se consacrent Mylène Mackay et Victoria Diamond, cherchant dans les replis de cette saturation d’images un rare espace de liberté. «Qu’est-ce qu’être libre, en tant que femme, dans un monde narcissique où notre image ne nous quitte jamais? C’est la grande question que ce spectacle essaie de poser.»
Dictature de la beauté (le livre de Naomi Wolf, The beauty myth, a été une importante influence du spectacle), anorexie, pornographie et culture du viol, sont aussi abordés pêle-mêle, dans ce spectacle dont la forme évoque constamment l’obsession du regard sur soi. «On est filmées à 360 degrés en tout temps, explique Mylène Mackay. Le fait que la femme se sente constamment observé par l’œil de l’homme ou par les autres femmes – ainsi que par elle-même – est aussi métaphorisé dans le regard du public sur nous.»
C’est en lisant la Dialectique de Platon que Mackay et consorts ont trouvé la structure de leur spectacle, qui reprend souvent la forme d’un échange platonicien sous forme de questions réponses, tout en flirtant avec l’ironie socratique. «On a voulu, dit Mylène Mackay, qu’à travers l’humour se déploie un processus de raisonnement et de dialectique qui met en question la femme et son obsession de l’image. À cela se greffent des chorégraphies, assez ludiques, où 2 femmes font furieusement du ménage. La figure de la domesticité (la femme ménagère observée d’un œil fou et furieux) nous est apparue comme une manière forte d’envisager une identité féminine encore coincée dans les stéréotypes. Mais on veut aussi redonner au geste domestique sa profondeur; on met en lumière la domesticité comme un moment d’exutoire, de réflexion. On voulait montrer tout ce qui jaillit dans l’esprit féminin pendant que le corps se livre à une gestuelle stéréotypée.»
«Nos esprits fonctionnent de manière chaotique et bouillonnante», rigole Mylène Mackay. C’est pour cette raison que le spectacle, protéiforme et insaisissable, va dans plusieurs directions, dans une «mise en scène assez anarchique». «Réfléchir au féminisme contemporain nous place dans une effervescence intellectuelle difficile à maîtriser. Les idées se mélangent parfois sans hiérarchie, et je pense que ce fonctionnement éclaté du cerveau humain est représenté dans nos spectacles qui vont dans tous les sens et qui, aussi, travaillent autant sur les plans de l’image et du corps que du texte.»
Il y a aussi un arrière-plan intellectuel fertile dans cette pièce éclatée. De Hanna Arendt à Nancy Huston, en passant par Anaïs Nin et Lacan, la pensée s’articule dans un grand jeu de références, jusqu’au féminisme pop de Beyoncé et Nicki Minaj. «Le féminisme est un peu la saveur du jour et on cherche aussi à questionner ça. Quand Beyoncé, en g-string sur une scène dit « Mon corps m’appartient, je fais ce que je veux », est-elle féministe? Il faut poser cette question. Je ne suis pas tout à fait certaine de la réponse.»
C’est ça, Je te vois me regarder. Un spectacle qui cherche à se positionner à travers tous les féminismes actuels, en penchant plus fort vers un «féminisme humaniste», et surtout, en s’ ancrant dans une «grande urgence de dire».