PASSIM au FTA: bricolage déroutant
Bricolage de mots, de musique et de chair, Passim, de François Tanguy, accumule les couches d’histoire et de littérature dans un spectacle déroutant qui raconte les guerres perdues, les royaumes déchus et les amours impossibles, cultivant un insistant arrière-plan de nazisme.
C’était ma première incursion dans le théâtre de François Tanguy et l’expérience est déroutante. Travaillant par accumulation, par strates, dans un théâtre profondément post-moderne, qu’il appelle une «archéologie de l’instant», il bricole des assemblages artisanaux dans lesquels se percutent grands textes (de Shakespeare, d’Euripide ou de Molière) et grande musique (de John Cage ou de Beethoven).
Qu’il choisisse d’incarner sur scène la rencontre d’Achille et de Penthésilée (telle que l’a racontée Kleist) ou les amours de Marguerite Valois et Henri de Navarre (à travers l’écriture de Christopher Marlowe), il ne le fait pas sans un mélange des genres manifeste ni sans anachronismes. Ainsi les tribulations d’Achille et d’Hercule sont quasiment jouées avec le costume de Louis XIV, dans un décor artisanal chargé qui démultiplie les cadres de scène et force un regard neuf, non chronologique ni très académique, sur quelques récits universels. On en éprouve un certain vertige, doublé d’une admiration devant la beauté plastique des tableaux ainsi que leur fluidité. L’inventivité mise à l’œuvre dans ce théâtre de bric et de broc, qui sait renouveler la fonction de matériaux bruts, est d’une poésie soufflante. Mais le sens se dégage-t-il vraiment de cette accumulation? Que raconte, au fond, cette sédimentation chaotique de littérature et d’histoire? La réponse n’est pas très claire, et c’est bien là que le bât blesse.
Il est certes question de guerres perdues, d’amours échouées et de royaumes déchus (comme celui du Roi Lear, dont la scène initiale constitue l’un des moments forts du spectacle). Passim est une succession de scènes de chutes et de passages de flambeau, pour dire un monde qui se termine dans l’apocalypse avant d’en faire renaître un autre de ses cendres. Les Grecs sont omniprésents, via Achille pendant la guerre de Troie, ou Hercule et ses 12 travaux (dans La tentation de St-Antoine, de Flaubert), mais aussi dans le récit du combat opposant Pyrrhus et Priam (par Shakespeare dans un passage du deuxième acte d’Hamlet) et dans une courte évocation des plaintes des Troyennes (Euripide).
S’y mêlent des scènes d’amour tragique et décimé, aux ramifications sociopolitiques ou religieuses. «Vous avez trop d’amants qu’on voit vous obséder; et mon cœur de cela ne peut s’accommoder», dit Alceste à Célimène dans Le Misanthrope, avant de laisser place à une Armide vaincue par l’amour (dans Jérusalem libérée).
Dévoilant les artifices et les coulisses du théâtre, Passim cherche peut-être à montrer la structuration des grandes émotions humaines et les architecturations profondes des guerres que se livrent les peuples. Mais on n’y voit pas clair, à vrai dire. Peut-on se satisfaire d’un spectacle qui ne fait qu’aligner des scènes tragiques décontextualisées, rappelant sèchement à l’humanité son désir de guerre et d’anéantissement sans jamais tenter d’expliquer d’où il surgit? Le spectacle de Tanguy, si visuellement riche soit-il, échoue trop souvent à pousser à la réflexion, à cultiver le sens.
Reste un autre axe de lecture, qui nous permet de conclure à un énième spectacle sur l’Holocauste comme dernière étape de la fin de l’humanité. Le spectacle se termine en effet par le récit onirique Tiergarten, de Vassili Grossman, dépeignant le Berlin de 1945 comme un véritable zoo humain. La scène se transforme alors en une évocation d’une Allemagne tiraillée entre la folie de ses cabarets et la barbarie de ses soldats nazis, lesquels ont aussi peuplé de nombreuses scènes précédentes, tels des fantômes annonciateurs d’un mauvais présage. Passim serait ainsi un spectacle sur l’Holocauste, et sur la chute de l’humanité qui est venue avec? Ces hommes aux casquettes hitlériennes apparaissaient-ils près des Troyennes pour leur annoncer que le pire est encore à venir? Peut-être.
Les érudits se plairont assurément à reconnaître leurs moments favoris chez Ovide ou chez Virginia Woolf. Les autres se sentiront probablement largués, mais éprouveront sans doute un plaisir à observer la scénographie mouvante, apte à inventer un nouveau monde à chaque nouveau tableau. Multipliant les cadres et les perspectives, la scénographie dissimule aussi de nombreuses portes, balcons et fenêtres, pour évoquer ceux qui peuplent les scènes d’amour tragiques ou les comédies de Molière dans lesquelles tout le monde épie tout le monde. Il y a ainsi emprunt à certaintes traditions de théâtre comique, même si la diction ampoulée, lente et découpée des acteurs, s’en éloigne au maximum. Est plutôt cultivée une ambiance funèbre, ritualisante et emphatique, qui fait son effet par moments mais paraît parfois inutilement grandiloquente.
Jusqu’au 31 mai à l’Espace GO
Dans le cadre du Festival TransAmériques (FTA)