FTA / Manuel Roque / Data : Chorégraphie totale
FTA 2015

FTA / Manuel Roque / Data : Chorégraphie totale

Danseur de haut niveau, qu’on a vu chez Marie Chouinard comme chez Daniel Léveillé, Manuel Roque développe en solo une gestuelle imprégnée de ces collaborations tout en cultivant sa singularité. Dans DATA, il invente une forme de chorégraphie totale, plaçant son corps virtuose en dialogue avec la minéralité. Entrevue.

VOIR: Vous dites vouloir travailler avec votre corps et tout ce qu’il contient, tout ce qu’il est devenu au fil de vos années de pratique. Peut-on voir ce spectacle comme une forme de chorégraphie totale?

Manuel Roque: «Il s’agit en tout cas de prendre en considération toutes mes possiblités physiques. C’est aussi une recherche sur l’identité, que j’ai élaborée sur deux ans. Physiquement, qu’est-ce-qui m’est personnel? Qu’est-ce qui est de l’ordre de la trace chorégraphique laissée en moi par la gestuelle de Marie Chouinard ou de Sylvain Emard? Ce sont quelques-unes des questions que je me suis posées. Dans un premier temps, j’ai essayé de repousser toutes les esthétiques des autres mais, à force de faire cet exercice, j’ai compris que j’étais constitué de toutes ces gestuelles et qu’il ne fallait pas tout enrayer parce qu’elles me définissent. À travers elles, je sais tout de même exprimer une singularité physique et kinesthésique.»

VOIR: Le spectacle repose ainsi sur une grande diversité de techniques, de genres et d’états de corps?

M.R.: «On peut en effet y lire une certaine multiplicité. J’ai voulu créer un voyage, une sorte de démultiplication. Comme humain et comme danseur, on n’est jamais le fruit d’une seule signature ou d’une seule posture: je voulais engager la conversation à partir de tous les êtres qui sont en moi. Qui suis-je vu de côté?, de l’au-delà, qui pourrais-je être dans un univers parallèle?: il s’agit de décliner tous les possibles de moi-même. L’enjeu chorégraphique a été de développer différentes physicalités, différentes textures. Mais tout cela se fait de manière organique, les choses s’interconnectent tout naturellement.»

Crédit: Marilène Bastien
Crédit: Marilène Bastien

 

VOIR: De quelle manière cette démarche vous a-t-elle mené à une réflexion sur l’histoire de l’humanité et son devenir?

M.R.: «En cherchant à démultiplier les regards sur moi-même, cette notion de l’inscription de l’humain dans un continuum historique s’est imposée, dans une  volonté de traverser des siècles d’histoire humaine.  La notion d’humanité m’intéresse parce qu’on arrive à un moment où cette humanité se transforme au contact du virtuel: le génome humain va bientôt être séquencé, décodé. On est toujours en train de traiter l’information hyper-rationnellement, y compris l’information organique. Comme chorégraphe et danseur, ça me préoccupe, parce que je crois que le potentiel expressif et poétique du corps dépasse cette classification et ne peut pas toujours s’y insérer.»

VOIR: Craignez-vous une disparition du corps à travers le virtuel?

M.R.: «Ça fait partie des prémisses de la recherche. Il y a en ce moment une mutation plus importante que jamais dans le rapport à nos corps, à travers cette virtualisation de nous-mêmes. Nous traversons peut-être un moment unique, une singularité plus grande que jamais. Il y a en ce moment un état d’urgence par rapport à la notion d’humanité, alors que la notion de la fonctionnalité de l’être humain semble être devenue la seule préoccupation de notre monde. Il y a du darwinisme là-dedans et ça m’inquiète. Avec l’enjeu de la disparition de l’humanité qui entre de plus en plus en ligne de compte, je pense qu’il est urgent de se demander ce que nous considérons comme vraiment précieux chez notre espèce.»

VOIR: Il y a dans le spectacle une volonté de retour à la matérialité, en explorant le corps comme matière mais aussi le rapport à la matière qui entoure ce corps. Pouvez-vous élaborer?

M.R.: «C’est un travail de conscience du muscle, de la chair. La sueur entre aussi en ligne de compte. Dans ce spectacle, je suis dans une hyperconscience de la réalité du corps en mouvement, qui s’imprime dans l’espace et dans la sensibilité du spectateur. Quand j’ai commencé à voir apparaître l’écriture chorégraphique, il y avait aussi d’emblée une composante très organique. J’avais envie de donner à mon corps des points de communication avec un élément extérieur, en l’occurrence une roche. C’est une présence inerte grandiose et l’idée de la roche fait aussi écho, pour moi, à l’histoire de l’Homme. Il y a donc un dialogue constant entre cette masse minérale et le corps qui se place dans différents états et mouvements. J’ai voulu y ajouter une dimension spirituelle. Est alors entré en jeu, un peu par accident, le Requiem de Fauré, qui crée de la spiritualité, à mes yeux, de manière forte.»

Jusqu’au 2 juin au Théâtre Prospero, dans le cadre du Festival TransAmériques