Une sélection épicée : Fantasmes et tabous au Fringe
Quoi voir au Fringe? La question invite à une multiplicité de réponses et à une infinité de parcours parmi la centaine de spectacles proposés, mais nous vous proposons un regard sur quelques spectacles francophones interrogeant désirs, fantasmes, tabous et ébats.
Il y a de la lubricité dans l’air. En fouillant dans la programmation francophone du Fringe, on a repéré, parmi les spectacles les plus prometteurs, quatre pièces campées dans l’adolescence ou la jeunesse, mais surtout interrogeant la sexualité d’une génération désorientée ou auscultant un monde prétendument hypersexualisé et pornographique. Les créateurs, jeunes loups issus d’une époque que l’on dit assoiffée de sexe, varient les angles du regard et s’intéressent à la marginalité sexuelle comme à l’hypocrisie et au conservatisme de notre société devant une sexualité que l’on affiche pourtant partout.
Olivier Arteau-Gauthier a été l’une des belles découvertes des éditions 2013 et 2014 du Fringe, son travail aux confins de la danse et du théâtre ayant été alors suivi par des spectateurs enthousiastes. Le monstre, lauréat du prix CEAD de l’auteur le plus prometteur et du meilleur spectacle francophone l’an dernier, avait été qualifié de «texte atypique qui déploie une écriture singulière et très elliptique». Déjà, Arteau-Gauthier creusait le thème de l’intimité et de la séduction, dans un spectacle charnel qui décortiquait les modes de communication de la génération Y et les mécanismes de son désir. Cet été, dans le spectacle Doggy dans Gravel, il s’intéresse à l’adolescence «comme période d’expérimentation et de désobéissance». Il promet d’explorer «l’éveil de la sexualité comme stade prépondérant au déploiement de l’individualité». Performance, danse et musique live sont évidemment de la partie.
Dans Parallèle, de Kariane Héroux-Danis, le metteur en scène Alex Côté interroge la marginalité sexuelle. De la scopophilie (désir de se regarder dans le miroir pendant l’acte sexuel) à l’hybristophilie (attirance sexuelle pour les personnes qui ont commis des crimes) jusqu’au frotteurisme (excitation à se frotter sur les autres dans les endroits publics), la pièce cherche à comprendre ce qui mène une quantité impressionnante de gens à développer des paraphilies.
«Notre travail, explique-t-il, se fonde sur une importante recherche documentaire, mais évidemment nous ne cherchons pas à parler de paraphilie de manière scientifique. Un peu comme dans le film australien The Little Death, nous convoquons une galerie de personnages aux prises avec des sexualités marginales et taboues, leur offrant un espace de parole dénué de jugement. On se rend compte que le pouvoir de l’imagination joue un rôle important dans la pulsion sexuelle de l’homme, et cette idée est devenue le moteur de notre création.»
Se définissant comme une compagnie de théâtre bilingue et résolument queer, Farouche Factory ose aussi un théâtre sexy qui repousse quelques limites. «Notre spectacle ne traite pas spécifiquement de thématiques queer, dit le metteur en scène Gabriel Favreau, mais nous avons, de manière générale, le désir de faire un théâtre non genré.» Leur pièce In Fur Wrapped met en scène «trois jeunes comédiens se questionnant sur les notions de fantasmes et d’interdits», se projetant aussi dans l’histoire de la chanteuse Marianne Faithfull, dont la sexualité a jadis fait le bonheur des tabloïds.
«Le sexe, dans notre pièce, n’est pas un sexe pur et amoureux. Ce n’est pas non plus un sexe ultra-pornographique et explicite. On tente de se situer dans une zone plus nuancée, de mettre en scène des personnages obsédés par le sexe et de chercher la vérité dans leurs pulsions inavouables ou dans leurs fantasmes les plus trash. On tente de comprendre la naissance du fantasme, l’émergence du désir – on jongle avec la notion de tabou.»
Favreau, en compagnie des comédiennes Joanie Guérin et Audrey Lachapelle, interroge aussi une société que l’on dit hypersexualisée mais qui demeure, en vérité, plutôt conservatrice. «Il y a une grande hypocrisie par rapport au sexe, même si on aime prétendre le contraire.»
Maelström, de Mélanie Chouinard, est également un spectacle teinté des préoccupations de la génération Y, où l’on parlera sexe, mais pas que. «C’est une pièce, dit-elle, qui cherche à déconstruire les stéréotypes associés à cette génération. Quand on lit la fiche Wikipédia au sujet des Y, on se retrouve devant une tonne de clichés sur les enfants-rois, le rapport exacerbé aux technologies qui empêcherait une vie sociale saine dans le monde réel et l’hypersexualisation qui entraînerait une incapacité d’engagement dans un couple. Ce sont des généralités qui ne sont pas complètement fausses, mais ça manque profondément de nuances. Alors, on a voulu faire un spectacle qui offre un croisement de paroles personnelles, pour nuancer le portrait.»
Également ancré dans la physicalité, Maelström aborde la sexualité des Y par un contre-pied, mettant en scène une jeune femme qui raconte une sexualité douce et pure. «Mais la question du fantasme et du désir, précise Chouinard, est aussi traitée à travers une exploration des tabous sexuels, dans quelques monologues.»