FTA / Marlene Monteiro Freitas et son ballet mécanique qui tourne à vide
Ses danseurs jouent aux pantins grotesques et poussent la logique performative jusqu’à des limites abyssales. La chorégraphe capverdienne Marlene Monteiro Freitas, établie à Lisbonne, suscite l’engouement mais sa danse agitée et excessive nous a paru tourner à vide dans son spectacle De marfim e carne. Tentative d’explication.
Il y a des spectacles qui nous font réaliser nos limites en tant que spectateur et en tant que critique. Le travail de la chorégraphe Marlene Monteiro Freitas, qui suscite un vif intérêt partout en Occident, me fait chaque fois réaliser la relativité de mes propres perspectives. Devant ses danseurs frénétiques, qui s’agitent d’une gestuelle mécanique mais stérile, je demeure toujours pantois, incrédule et ennuyé. Aussi rigoureux soit le travail des corps, il est au service d’une esthétique si excessivement burlesque qu’elle en devient puérile et cabotine, dans une accumulation gestuelle qui tourne sur elle-même dans la plus pure complaisance et dans le vide le plus total.
Tentons tout de même de décortiquer l’affaire. Ils sont quatre, accompagnés de trois percussionnistes, et leurs postures d’abord figées puis traversées de spasmes mécaniques sont censés évoquer des statues prenant vie et se rigidifiant à nouveau. Les danseurs Flora Detraz, Andreas Merk, Betty Tchomanga et Lander Patrick sont admirables de plasticité, se tordant dans tous les sens en cultivant la fermeté du muscle et la raideur des articulations. La gestuelle est mécanisée à la manière des automates du 18e siècle, marionnettisée pour évoquer l’étrangeté du pantin animé par une mystérieuse force extérieure et les visages, crispés et grimaçants, les rapprochent du monstre ou de la créature apeurée d’une peinture expressionniste allemande.
Evidemment, quand on met le travail de Marlene Monteiro Freitas en dialogue avec l’histoire de l’art, les correspondances apparaissent nombreuses. On peut s’amuser à identifier les emprunts (lointains) à Schlemmer et son Ballet triadique (et de manière plus générale un écho aux avant-gardes modernistes du début du XXe siècle); on peut voir dans les costumes d’escrimeur une référence aux combats rituels de la Rome antique ou dans les défigurations constantes des danseurs un écho du théâtre grotesque. Mais en évoquant tout ça à la fois, en étendant sans distinction toutes ces couches de références artistiques, la chorégraphe ne propose qu’une bouillie informe, qui satisfait le désir primitif du spectateur d’être visuellement ébahi mais qui le laisse sur sa faim s’il cherche une nourriture plus digestible.
Poussant ses danseurs à leurs extrémités physiques, la chorégraphie évoque aussi vaguement le désir de dépassement de soi et la quête de gloire spontanée, flirtant avec les codes de la télé-réalité et des soupçons de culture pop (on aura droit à un lipsync grotesque sur la chanson My body is a cage, d’Arcade Fire). Mais là, encore, l’oeuvre se contente d’offrir un divertissement puéril. Si l’artiste cherche à susciter un regard critique, elle s’y prend de manière trop légère. Meilleure chance la prochaine fois.
Il faudrait sans doute tenter aussi de comprendre les liens avec le mythe d’Orphée que Freitas cherche à mettre en relief. Je renonce.
Le 4 juin à la 5e salle de la Place des Arts
Spectacle de clôture du Festival TransAmériques (FTA)
Wow mais wow. Je suis presque sans mots. You have no idea what you’re talking about dude.
Un des meilleurs (troublant, intègre, galvanisant) shows que j’ai vu, point, cette année. It makes me profoundly sad that this got published. Ton incompréhension face à une oeuvre d’art n’ést pas une motivation valide pour whatever train-wreck of writing happened here.
Cher Andrew,
Ce n’est pas parce que le spectacle a été majeur pour vous qu’il l’a été pour tout le monde. Le travail de Marleine Monteiro Freitas divise; je n’ai pas été seul à ne pas le savourer.
Pour le reste, je suis à l’aise avec mon texte, qui est honnête par rapport à mes limites devant cet objet artistique. Je suis conscient qu’un critique ne peut pas toujours faire appel à ces limites mais ça s’imposait dans ce cas-ci.
Puis, j’ai tenté une compréhension, une décortication de l’objet, même s’il m’échappe en partie.
Au-delà de ça, le dialogue est ouvert.
Je vous remercie de l’avoir commencé.
Ce serait plus intéressant, pour moi comme pour les lecteurs, que vous nous racontiez en quoi il a été galvanisant pour vous.
Cette complaisance qui tend à légitimer son propre point de vue en valeur absolue frise le vide critique.
« une esthétique si excessivement burlesque qu’elle en devient puérile et cabotine, dans une accumulation gestuelle qui tourne sur elle-même dans la plus pure complaisance et dans le vide le plus total. »
En quoi cette esthétique devient, selon l’auteur, « puérile », « cabotine », « complaisante » et « vide » ? Il a le droit de le penser. Mais il peut aussi nous exposer comment. (n’est-ce d’ailleurs pas son travail ?)
« la chorégraphe ne propose qu’une bouillie informe, qui satisfait le désir primitif du spectateur d’être visuellement ébahi mais qui le laisse sur sa faim s’il cherche une nourriture plus digestible »
1) il y a là peut-être un lien avec le mythe d’Orphée, non ?
2) Quelle est cette « nourriture digeste » que cherche le critique ? Une danse plus « signifiante » ? Une danse plus « facile » ?
By the way, le Ballet Triadique, c’est de Oskar Schlemmer (en écho au Théâtre de marionnettes de Kleist, certes)… ;-)
Salut Katya,
J’ai modifié le passage sur le Ballet Triadique, en effet, j’ai un peu emmêlé mes pinceaux dans ce passage.
Pour le reste, je ne pense pas ériger mon propre point de vue en valeur absolue – je commence d’ailleurs le texte en exposant mes limites personnelles par rapport à ce travail artistique.
Quant à savoir si je cherche une danse signifiante, la réponse est assurément oui. Tu me diras alors que j’emprisonne la danse dans « des présupposés esthétiques et politiques discutables » – je vous ai bien lus dans Le Devoir à ce sujet.
Mais je cherche du sens. C’est ma posture de spectateur. Il s’en trouve dans toutes sortes de danse. C’est une posture qui embrasse large, qui invite à questionner le travail des artistes sous différents aspects.
je comprends très bien que tu recherches du « sens » en tant qu’homme de théâtre. ;-) Mais je sens aussi que la danse t’inspire parce qu’elle te fait appréhender et ressentir la scène « autrement », d’une manière plus viscérale peut-être, ou plus sensuelle, en tout cas certainement plus sensorielle.
Qu’est-ce qui se joue dans ton corps quand tu regardes une pièce de Marlene (ou des spectacles dont le sens t’échappe visiblement) ?
Tout ne passe pas par la tête (même ton sacro-saint « Sens » !), tu le sais bien. Alors, c’est, je crois, une piste qu’il te serait intéressant de développer si tu souhaites davantage te frotter à la danse…
Noté. Et évidemment, dans ce que j’appelle le sens, il y a du sensoriel. C’est indéniable.
P.S. Que ce soit clair, je trouve que le milieu de la danse a raison de réclamer une meilleure critique de danse, une critique plus spécialisée. Je suis avant tout un critique de théâtre, ce n’est un secret pour personne. Mais je voudrais juste ajouter un soupçon de réalisme dans le débat. Dans le contexte actuel des médias en crise, moins d’argent est consacré à la couverture de la danse par des pigistes spécialisés, et c’est déplorable mais je ne pense pas que ça va changer à court terme. Et une sortie comme celle que vous avez faite cette semaine, même si vous avez eu raison de le faire, j’ai peur que ça décourage tout simplement les médias de parler de danse. Je peux vous dire que, dans un média comme celui pour lequel je travaille, la danse n’est pas systématiquement considérée, parfois pour des raisons strictement comptables, et si elle continue d’être couverte c’est parce que des salariés comme moi y tiennent, même s’ils ne sont pas spécialisés. Ce que je veux dire, c’est qu’il faut ajouter au débat cet élément: le financement et la précarité des médias sont vraiment ce qui est en jeu ici.
Nous sommes parfaitement conscients de cette conjoncture économique que nous déplorons également et que nous subissons d’autant plus en tant que parent pauvre de la culture.
C’est bien pour ça que nous exprimons aujourd’hui notre malaise face à cette situation : car le peu d’espace qu’il nous reste, faut-il le niveler au profit d’une visibilité à tout prix (et vous remercier malgré vos maladresses car nous ne serions rien sans vous ?) ou réclamer un contenu plus rigoureux d’autant plus face à cette réduction d’espace ? Le débat reste ouvert. Et il n’existe pas une seule réponse.
Cela met une grosse responsabilité sur le dos des « amoureux » de la danse… Mais il en va aussi de la crédibilité d’un média aujourd’hui.