FTA / Marlene Monteiro Freitas et son ballet mécanique qui tourne à vide
FTA 2015

FTA / Marlene Monteiro Freitas et son ballet mécanique qui tourne à vide

Ses danseurs jouent aux pantins grotesques et poussent la logique performative jusqu’à des limites abyssales. La chorégraphe capverdienne Marlene Monteiro Freitas, établie à Lisbonne, suscite l’engouement mais sa danse agitée et excessive nous a paru tourner à vide dans son spectacle De marfim e carne. Tentative d’explication. 

Il y a des spectacles qui nous font réaliser nos limites en tant que spectateur et en tant que critique. Le travail de la chorégraphe Marlene Monteiro Freitas, qui suscite un vif intérêt partout en Occident, me fait chaque fois réaliser la relativité de mes propres perspectives. Devant ses danseurs frénétiques, qui s’agitent d’une gestuelle mécanique mais stérile, je demeure toujours pantois, incrédule et ennuyé. Aussi rigoureux soit le travail des corps, il est au service d’une esthétique si excessivement burlesque qu’elle en devient puérile et cabotine, dans une accumulation gestuelle qui tourne sur elle-même dans la plus pure complaisance et dans le vide le plus total.

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Flora Detraz, Lander Patrick, Andreas Merk et Betty Tchomanga dans De marfim e carne

 

Tentons tout de même de décortiquer l’affaire. Ils sont quatre, accompagnés de trois percussionnistes, et leurs postures d’abord figées puis traversées de spasmes mécaniques sont censés évoquer des statues prenant vie et se rigidifiant à nouveau. Les danseurs Flora Detraz, Andreas Merk, Betty Tchomanga et Lander Patrick sont admirables de plasticité, se tordant dans tous les sens en cultivant la fermeté du muscle  et la raideur des articulations. La gestuelle est mécanisée à la manière des automates du 18e siècle, marionnettisée pour évoquer l’étrangeté du pantin animé par une mystérieuse force extérieure et les visages, crispés et grimaçants, les rapprochent du monstre ou de la créature apeurée d’une peinture expressionniste allemande.

Evidemment, quand on met le travail de Marlene Monteiro Freitas en dialogue avec l’histoire de l’art, les correspondances apparaissent nombreuses. On peut s’amuser à identifier les emprunts (lointains) à Schlemmer et son Ballet triadique (et de manière plus générale un écho aux avant-gardes modernistes du début du XXe siècle); on peut voir dans les costumes d’escrimeur une référence aux combats rituels de la Rome antique ou dans les défigurations constantes des danseurs un écho du théâtre grotesque. Mais en évoquant tout ça à la fois, en étendant sans distinction toutes ces couches de références artistiques, la chorégraphe ne propose qu’une bouillie informe, qui satisfait le  désir primitif du spectateur d’être visuellement ébahi mais qui le laisse sur sa faim s’il cherche une nourriture plus digestible.

Poussant ses danseurs à leurs extrémités physiques, la chorégraphie évoque aussi vaguement le désir de dépassement de soi et la quête de gloire spontanée, flirtant avec les codes de la télé-réalité et des soupçons de culture pop (on aura droit à un lipsync grotesque sur la chanson My body is a cage, d’Arcade Fire). Mais là, encore, l’oeuvre se contente d’offrir un divertissement puéril. Si l’artiste cherche à susciter un regard critique, elle s’y prend de manière trop légère. Meilleure chance la prochaine fois.

Il faudrait sans doute tenter aussi de comprendre les liens avec le mythe d’Orphée que Freitas cherche à mettre en relief. Je renonce.

 

Le 4 juin à la 5e salle de la Place des Arts
Spectacle de clôture du Festival TransAmériques (FTA)