Grease: Amour bédéesque à la manière d’Andrew Shaver
À la barre des comédies musicales estivales de Juste Pour Rire, Denise Filiatrault commence doucement à lâcher la bride et cède sa place cet été à Andrew Shaver, qui tire Grease vers le burlesque, avec Annie Villeneuve et Jason Roy-Léveillée dans les rôles prisés de Danny et Sandy. Et en version bilingue, de surcroît.
On ne peut pas vraiment réinventer Grease. Ce serait sans intérêt étant donné les attentes d’un public venu revoir ses scènes favorites, qu’il connaît par cœur. Mais surtout étant donné la pauvreté dramaturgique de l’affaire: ce ne sera jamais rien d’autre que l’histoire, racontée à gros traits, d’un prétendu bad boy qui tombe amoureux d’une jeune fille de bonne famille, dans une Amérique de paillettes et au sein d’une jeunesse superficielle. Le metteur en scène Andrew Shaver offre donc un divertissement conforme aux attentes, tout en exacerbant la théâtralité et le jeu physique (nous y reviendrons). Et la comédie musicale de Broadway, moins connue que le film qu’elle a inspiré, est intéressante à redécouvrir parce qu’elle accorde davantage de place aux personnages secondaires – donnant à Rizzo (Joëlle Lanctôt) ou à Frenchie (Gabrielle Fontaine) des personnalités un brin plus étoffées.
Fidèle à la tradition de la maison, cette mise en scène rivalise d’énergie pour correspondre aux codes de Broadway, s’y modelant très précisément, même si les budgets et la structure de production sont plus modestes et que ça se voit indéniablement. En résulte un spectacle inégal mais spectaculaire et coloré, qui remplit sa mission de manière très honnête, sans faire preuve d’une originalité foudroyante ni de grandes idées, mais apte à fournir le divertissement souhaité.
La mise en scène, nous le disions plus haut, tire très fort la pièce vers le burlesque et vers une esthétique bédéesque qui pourra surprendre les afficionados du film des années 70. Si les lazzis et autres manifestations corporelles exacerbées sont exécutées inégalement (Jason Roy-Léveillé ne maîtrise pas toujours cette forme de cabotinage physique), on peut au moins se réjouir d’y voir un choix affirmé de mise en scène, et une manière pour le moins théâtrale de se détacher du film canonique. Oui, le Danny Zucko de ce spectacle est excessivement maniéré, et la Sandy incarnée par Annie Villeneuve est plus sage et lisse que celle du long métrage de Randal Kleiser. Shaver a accentué les contrastes et grossi les stéréotypes, sans toutefois sombrer dans la grossièreté, dans un souci de théâtralité. Il ne se contente pas de pasticher le cinéma et de reproduire les interprétations de John Travolta et Olivia Newton-John – ce qui me semble être une assez bonne nouvelle. Il n’est pas certain que Denise Filiatrault se serait permis cet affranchissement – on la connaît mieux pour ses mises en scène copiées-collées du travail des autres. Chapeau à Shaver pour ses choix assumés, même si le jeu surexcité, sursouligné et souvent inégal pourra faire grincer des dents par moments.
Autre singularité: le bilinguisme des chansons, entonnées sans complexe dans les deux langues. Pour ne pas avoir à faire le deuil des refrains hyper-connus du public dans la langue de Shakespeare, et sans doute un peu pour ancrer la pièce dans un Montréal où les deux langues sont aisément comprises, les chansons gardent souvent leurs paroles culte en anglais, alors que la plupart des couplets sont traduits en français. Et ça marche! Ainsi Philippe Touzel, brillant dans le rôle de Kenickie, chante «Oooh Grease Lightning déchire la piste comme l’éclair», et on ne sourcille même pas.
Néanmoins, tous ne sont pas des interprètes parfaits de musical et, pour éviter trop d’inégalités dans les scènes parlées, on aurait parfois envie de conseiller à Juste Pour Rire de laisser de côté les vedettes de La Voix ou de Star Académie pour aller plutôt puiser du côté du programme de théâtre musical du Collège Lionel-Groulx, d’où sont diplômés chaque année d’excellents acteurs-danseurs-chanteurs.
Néanmoins, rendons à César ce qui lui appartient: à part la performance très embarrassante de Normand Brathwaite, ce spectacle fait briller à leur juste valeur, en plus de ceux déjà mentionnés, les Bryan Audet, Marie-Eve Perron et Gardy Fury, lequel rehausse la deuxième partie du spectacle dans le rôle de l’ange gardien de Frenchie.
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Au Théâtre St-Denis jusqu’au 1er août