Ruelle à Montréal Complètement Cirque: petite romance entre voisins
Jeffrey Hall, ex-collaborateur de Robert Lepage et de Carbone 14, rêve de créer le spectacle Ruelle depuis de nombreuses années. En voici la première mouture, qui multiplie les trouvailles mais se déploie dans une dramaturgie scolaire et sirupeuse.
Le procédé narratif est classique; il a aussi ses limites. Ruelle, son titre le dit, est une pièce d’observation d’un milieu de vie précis, qui fourmille d’activités et où se rencontre une diversité de personnages. Dans les escaliers et sur les balcons, là où les résidents d’une rue se sentent à l’abri des regards et parfois des normes sociales, ils sont en réalité entourés par des voisins qui épient ou qui arriment leur séance de corde à linge avec la leur, dans une chorégraphie naturelle de vêtements séchant au vent. Ce sympathique spectacle cherche à mettre en scène ce fourmillement en lui donnant une impulsion aérienne. C’est une idée séduisante mais elle est aussi un peu didactique et peut vite s’épuiser.
Propice à une construction narrative multiple, qui joue de simultanéité et de superposition, la ruelle s’anime d’abord comme au matin du 1er juillet: les acrobates débarquent avec leurs boîtes et leurs chaises, utilisant cordes et poulies pour reconstituer la journée du déménagement, qui est prétexte à quelques acrobaties classiques et quelques figures au trapèze. Puis des couples vont se former, en particulier l’union d’un homme à la jambe cassée (Ugo Laffolay) et d’une femme à la robe rouge (la chanteuse Marie-Elaine Thibert, tout de même à la hauteur dans les numéros d’acrobatie), tissant peu à peu un spectacle très sentimental, fait d’une romance bon enfant et maladroite comme un amour de jeunesse. Ils s’aimeront la plupart du temps sur la corde à linge, en position vertigineuse ou pendus aux sangles qui y sont accrochées.
C’est ainsi que l’idée initiale de représenter dans la ruelle l’échantillon de toute une société se dilue peu à peu dans un sentimentalisme très guimauve. La théâtralité, dans l’ensemble, est d’une grande naïveté et l’amour y est sirupeux comme dans un magazine pour pré-adolescentes. Heureusement que, passant d’une ambiance diurne à une ambiance nocturne, le spectacle cultive de plus en plus d’onirisme et de moments décalés. Autrement, on serait en permanence dans une mauvaise comédie romantique musicale (car, oui, la jeune femme à la robe rouge chante aussi son amour ).
Ceci étant dit, le spectacle regorge tout de même de belles trouvailles. La corde à linge, notamment, permet des numéros de sangle aérienne réinventée: on s’y croise et y perd ses vêtements, avant de les réenfiler en position vertigineuse. Quand on y fait pendre de gros draps blancs, elle devient le support naturel d’un numéro de tissu aérien (par Nadine Louis). Les draps deviendront aussi surfaces écraniques dans une sorte d’hommage au cinéma rétro. Les emprunts aux spectacles primitifs de Robert Lepage et à son ingénierie artisanale sont nombreux: on voit bien les traces qu’a laissées le maître sur son élève – bien que le deuxième ne surpasse pas ici le premier.
Dans le rythme et la dramaturgie, Ruelle suit davantage l’influence de Gilles Maheu (Carbone 14). C’est peut-être en partie ce qui explique l’esthétique un peu datée de cet inoffensif spectacle, qui reprend vraiment les codes de l’âge d’or québécois du théâtre de l’image, dans les années 80 et 90, en y greffant des prouesses circassiennes mais sans y trouver vraiment l’âme recherchée.
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À l’Usine C jusqu’au 9 juillet, dans le cadre de Montréal Complètement Cirque