Zoofest / Jérémy Du Temple : Un gars ben ordinaire
Avec son premier solo au Zoofest, Jérémy Du Temple bétonne son statut d’extraordinaire gars ordinaire.
Rien de mieux pour mettre à l’épreuve les capacités d’un humoriste à se dépêtrer avec ce qui lui tombe sur la tête que d’arriver en retard dans une salle grosse comme une boîte à chaussure. C’est du moins ainsi que l’auteur de ces lignes tentait de se pardonner son léger manque de professionnalisme, en pénétrant vendredi soir dernier dans la miniature balustrade du Monument-National. Précisons, à la décharge du scribe, qu’il y a vraiment beaucoup, beaucoup de salles dans ce labyrinthique théâtre. C’est mélangeant.
Bien que nous n’irions pas jusqu’à vous suggérer de louper les dix premières minutes du spectacle dans le simple objectif d’entendre ce que Jeremy Du Temple vous enverra comme vannes, il faisait bon vendredi soir se laisser taquiner par l’humoriste au man bun et à la barbe christique, qui accueille les retardataires avec le même mélange de bonhommie et de douce malice qui traverse l’ensemble de son solo.
Au cours du reste de l’heure, le timonier des Lundis de l’humour du Jockey examine dans un style de stand-up très traditionnel et à la lumière de son regard de fils de bonne famille des sujets maintes fois labourés comme les déménagements, l’enfance ou Tinder. Mais contrairement à grand nombre de ses compatriotes, Du Temple parvient presque toujours à arracher ces figures imposées à la banalité qui les guette en usant de son sens de l’observation qui, in extremis, frappe là où ça fait mal (comme lorsqu’il raconte, au sujet de ses conversations téléphoniques avec son père, qu’on peut entendre au loin un «Je t’aime» avant qu’il raccroche).
Entre franc cabotinage et remarque plus sagace
Assez brillant pour séduire les intellos, mais jamais pédant, cool, mais pas prétentieux, énergique, mais pas Rachid Badouri; Jérémy Du Temple a quelque chose de l’idéal platonique de l’humoriste grand public, au sens le plus noble du terme. Enfant de banlieue qui confie aimer fort fort ses parents, le vingtenaire tire le meilleur de sa posture de boy next door en jouant le gars ben ordinaire constamment ahuri que l’extraordinaire surgisse sans crier gare dans son quotidien. On pense forcément à Louis-José Houde, avec qui il a aussi en commun une façon d’alterner entre franc cabotinage et remarque plus sagace.
Son numéro sur sa présence à l’after-party du gala Artis – il était le + 1 d’Adib Alkhalidey – témoigne le mieux de l’adhésion spontanée que suscite son charisme et contourne l’écueil principal inhérent à ce genre d’anecdotes, celui de passer pour vantard, grâce à une salutaire autodérision. Jérémy Du Temple n’est pas dans ce passage du spectacle un jeune humoriste qui respire pour la première fois l’air raréfié du vedettariat québécois; il demeure ce bon vieux Jay, garçon d’Yvan et Nicole, qui n’en revient juste pas pantoute de trinquer avec Claude Legault. Il est notre ambassadeur, à l’instar d’un Aziz Ansari qui raconte ses invraisemblables soirées avec Kanye West.
Les prémisses des numéros de Du Temple n’aboutissent pas toujours dans de grands commentaires sur l’époque et finissent parfois même en queue de poisson, mais son désir de lier, dans le numéro concluant l’heure, l’infidélité dont il a été le complice à la peur panique de la solitude qui afflige notre société pointe vers des ambitions qui pourraient lui permettre de s’élever au-dessus de son talent brut, déjà exceptionnel.
Jérémy Du Temple
Jusqu’au 1er août
Balustrade du Monument-National