Saint-André de l'Épouvante @: Histoires de peur et néo-terroir
Scène

Saint-André de l’Épouvante @: Histoires de peur et néo-terroir

Pas de rire gras cet été au Quai des arts de Carleton-sur-Mer: les productions À tour de rôle ont invité Samuel Archibald et Patrice Dubois à créer un «théâtre de peur» dans lequel les récits s’enfilent à la lueur de la chandelle.

Nous sommes quelque part dans une petite ville saguenéenne. Dominique Quesnel incarne Loulou, la tenancière de bar au regard empathique et rassurant, chez qui tout le monde vient chercher un peu de réconfort. Mais derrière cette chaleur humaine que la comédienne rend de manière très touchante se cache une pointe d’angoisse, une gravité dont la source sera progressivement révélée dans le récit d’une fusillade dans un bar almatois. La comédienne, qui a remplacé à pied levé Louise Latraverse à quelques jours de la première, est épatante. Comme d’habitude.

Bruno Paradis (Rénald) dans Saint-André de l'Épouvante / Crédit: Gunther Gamper
Bruno Paradis (Rénald) dans Saint-André de l’Épouvante / Crédit: Gunther Gamper

Dans le noir d’une panne de courant se joindront à elle Rénald (Bruno Paradis), l’homme-enfant au tempérament imprévisible et au rire quasi-démoniaque, puis le policier du village (André Lacoste), et le sympathique Mario (Dany Michaud), lesquels seront rejoints par un étranger prétendant se nommer Albert Gilbert Albert et dont la présence cause pas mal de suspicion (Miro Lacasse). Des personnalités pétries d’un passé chargé, ce qui leur confère un caractère profond, une consistance certaine.

Cette galerie de personnages, tranquillement, deviendra groupe de conteurs improvisés, se passant la parole pour se conter des histoires de peur, dans une forme de narration à relais. C’est un peu la version théâtrale et adulte de la Société de minuit– les Y comprendront cette référence à la série américaine Are you afraid of the dark? (Fais moi peur) dans laquelle des ados se racontaient des histoires d’horreur autour du feu.

Ce sont des histoires du passé rural et souvent des histoires d’hiver: la nature y est toujours un peu inquiétante, à l’image de l’orage qui gronde dehors pendant que le bar s’éclaire à la chandelle. On reconnaît Samuel Archibald et son attachement à un territoire québécois qui recèle de récits: sa pièce s’inscrit dans la droite lignée du courant littéraire que certains ont appelé «néo-terroir» et dont Archibald, avec sa mythologie réinventée et son amour des régions, est un chef de file. «La mémoire, c’est drôle ce que ça retient pis que ce que ça oublie», dira Loulou dans l’une des répliques marquantes du spectacle. Elle met le doigt sur l’un des fondements de cette littérature qui fraie avec la mémoire autant qu’avec une forme d’«oubli inventif».

Archibald y ajoute aussi une célébration des liens filiaux, se plaisant à évoquer telle ou telle famille et à raviver les cicatrices d’un passé tissé serré où les malheurs d’un foyer rejaillissaient sur la maisonnée voisine: la pièce raconte les douleurs de villages entiers et de familles entières.

De l’histoire de Marie-sans-tête qui a payé cher son amour d’un beau Métis jusqu’à celle de la disparition de Réal Cormier, en passant par le récit de l’apparition de soucoupes volantes sur la rivière Péribonka, les histoires se suivent et ne se ressemblent pas, évoquant souvent des souvenirs douloureux à ceux qui les racontent. À cet égard, la pièce en fait peut-être trop, architecturant laborieusement des liens ténus entre les personnages et cherchant trop fort à lier leurs douleurs par un réseau de similitudes et d’interrelations qui embrouille souvent le plaisir simple du récit duquel cette pièce aurait pu se contenter.

Miro Lacasse dans Saint-André de l'Épouvante
Miro Lacasse dans Saint-André de l’Épouvante

 

Même constat au sujet du mystérieux personnage d’étranger incarné par Miro Lacasse, qui se révèlera personnage plus fantaisiste que réel dans une finale qui a des airs de légende traditionnelle québécoise. L’inscription de la pièce dans une dimension à ce point folklorique est un peu artificielle, il faut dire, et parasite le plaisir du conte en alourdissant l’intrigue.

Méticuleux, le metteur en scène Patrice Dubois a fait un travail d’ambiances soigné, accordant notamment une importance cruciale à la trame sonore, qui crée du suspense et une ambiance d’inquiétude, ainsi qu’elle évoque des climats d’orage intempestif. C’est évidemment très cinématographique: on reconnaît les influences de Dubois qui a souvent travaillé des formes hybridant le théâtre et le cinéma (dans les pièces Everybody’s welles pour tous et La grande machinerie du monde, notamment). Le spectacle installe aussi, ici et là, des moments de suspension et de ralenti qui évoquent, par leur caractère impressionniste et leur lumière claire-obscure, le film noir façon Orson Welles.

André Lacoste et Dany Michaud dans Saint-André de l'Épouvante
André Lacoste et Dany Michaud dans Saint-André de l’Épouvante

MISE À JOUR : À L’ESPACE GO, À MONTRÉAL, DU 18 FÉVRIER AU 12 MARS 2016

Jusqu’au 15 août 2015 au Quai des Arts de Carleton-sur-Mer