Jean-Philippe Lehoux / Normal : Touriste de l'interstice
Scène

Jean-Philippe Lehoux / Normal : Touriste de l’interstice

Il avait demandé au public de La Licorne de choisir pour lui une destination voyage «contournable»: il fut envoyé à Normal, très banale petite ville de l’Illinois. Jean-Philippe Lehoux médite dans la pièce Normal sur une expérience de tourisme qui n’avait pas grand-chose de touristique.

En 2013, à quelques semaines de son départ pour l’Illinois, Jean-Philippe Lehoux nous disait se demander très fort s’il était possible, à notre époque, de voyager sans être un touriste. La réponse est peut-être oui – étonnamment. «À Normal, il y a peu de choses à faire, et même si je croyais y aller pour faire du tourisme expérimental et que je n’étais pas à la recherche des activités typiques du vacancier, je trouve difficile de définir mon séjour comme une expérience touristique…». Il nous confiait aussi avoir envie d’expérimenter le voyage hors des lieux spectaculaires, convaincu que le «tourisme des interstices» allait lui permettre de «poétiser le monde». Et alors? «J’ai dû calmer un peu mes ambitions et ma prétention», rigole-t-il. De fait, Normal sera un spectacle plein d’autodérision, racontant entre autres la solitude et le manque d’aisance avec lequel Lehoux est d’abord entré en contact avec les habitants de Normal.

Au Québec, il est pourtant l’«auteur touriste» par excellence: toute son œuvre se construit autour de ses expériences de voyage et édifie une réflexion sur l’obsession de l’Occidental pour la mobilité, la découverte de l’ailleurs et la culture du vacancier. De L’écolière de Tokyo à Napoléon voyage (en reprise cette saison au Rideau Vert), il ausculte le comportement du voyageur aventurier ou du touriste de bord de mer avec autant d’admiration que de circonspection, et avec autant de sérieux que de drôlerie. Il a l’habitude du voyage et des rencontres. Mais à Normal, il s’est soudainement senti seul et inquiet comme rarement dans sa vie de bourlingueur.

«Il y eut d’abord le long voyage en train, raconte-t-il. 10 heures à mesurer la distance qui me séparait de l’Illinois et à sentir l’inquiétude monter. Puis les premiers jours dans un motel générique à 40$ la nuit, où j’ai vécu un sentiment d’isolement. Je me suis acheté un vélo pour jouir d’une liberté de mouvement et aller à la rencontre des gens. Mais à Normal, où les visiteurs oisifs tels que moi sont rares et où je me fondais dans la foule parce que je ressemble parfaitement à un étudiant du collège local, personne ne se précipitait sur moi, avec ma bicyclette et mon sourire idiot, pour m’inviter à souper! Il a fallu que je change de stratégie.»

C’est tout de même une ville de plus de 50 000 habitants qui abrite de nombreux étudiants, quelques agriculteurs propriétaires de vastes champs de maïs et une quantité importante d’employés de la State Farm Insurance Company, dont les quartiers généraux sont à Bloomington, quelques kilomètres plus loin. Il y avait bien quelques rencontres à faire, s’est dit Lehoux, qui y est finalement parvenu en s’échouant au bar local mais surtout grâce au site d’hébergement collaboratif Couchsurfing.

Conclusion? «Voyager dans les interstices, c’est surtout faire des rencontres. Je le savais déjà, bien sûr, mais ça s’est confirmé et matérialisé de manière de plus en plus intéressante au fil du séjour.»

On n’en saura pas beaucoup plus – histoire de se garder quelques surprises – sinon que le spectacle qui en résulte est tissé d’ambiances sonores propres à évoquer les sensations vécues et les lieux visités. Normal, c’était une aventure humaine mais également, si l’on en croit le principal intéressé, un parcours d’atmosphères et d’ambiances que la pièce cherche à incarner par l’entremise de la conception sonore d’Olivier Gaudet-Savard. Lehoux est un verbomoteur: il y aura beaucoup de paroles et son plaisir à raconter est intact. Mais il se plaît cette fois à explorer la scène dans la position du chef d’orchestre, en compagnie de la comédienne Sarah Laurendeau, devant l’œil avisé du metteur en scène Philippe Lambert.

Au Théâtre La Licorne du 31 août au 25 septembre