Armel Roussel / Après la peur : La francophonie en voiture
Français expatrié en Belgique et développant de plus en plus une relation privilégiée avec Montréal, Armel Roussel ouvre la saison du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui avec un déambulatoire intitulé Après la peur, invitant le spectateur à une infinité de récits urbains.
Il a monté, à Bruxelles, des textes de Sarah Berthiaume (Yukonstyle) et Gilles Poulin-Denis (Rearview). Des écritures très nord-américaines, ancrées dans le vaste territoire et dans la route infinie, où apparaissent des personnages en pleine désorientation. Attiré par les écritures texturées d’ici et intéressé par la langue française dans toutes ses déclinaisons, Armel Roussel a peu à peu développé avec Montréal et avec le Québec une relation singulière, qu’il vient concrétiser dans le colossal projet Après la peur, invitant aussi des Wallons, des Suisses et des Africains dans l’aventure. Un gros party francophone, campé quelque part au-dessus de trois continents liés par un amour de la langue.
Après la peur fait suite à son précédent spectacle, La peur, hélas jamais présenté sur nos terres, mais auréolé d’une rumeur favorable pour sa manière éclatée d’explorer la façon dont la peur construit nos sociétés. À l’invitation de Dramaturgies en dialogue, il y a trois ans, Roussel a improvisé en quelques jours avec ses camarades Berthiaume et Poulin-Denis une performance en camionnette – lui donnant par la suite l’idée d’inviter des auteurs et des comédiens à écrire des petits spectacles à jouer dans l’intimité d’un habitacle. Après la peur est ainsi un spectacle déambulatoire où le public se promène de la grosse voiture jusqu’au petit camion, et parfois dans d’autres lieux, pour se faire raconter, sous différentes formes, des histoires de ville et de vivre-ensemble, de démocratie et de peur de l’autre, de cohésion et d’urbanisme, de couple et de communauté.
«La voiture, dit le metteur en scène, est à mes yeux un support fantasmatique. On s’est dit que l’habitacle est le lieu parfait pour voir émerger des émanations d’inconscient, pour explorer l’inconscient collectif autour du rapport à la ville, à la route, au territoire, au fait de se déplacer. Chaque auteur a reçu une trousse contenant des bouts de film, des bouts de texte ou des titres et, à partir de cet amas de références, il a construit une réflexion. Les questions qu’on a posées sont liées à la peur en société: peur irrationnelle pour sa sécurité personnelle, peur de l’autre, mais aussi la peur d’être invisible (ne pas exister) ou d’être trop visible (ne pas être dans la norme). C’est cette tension qu’on explore. Il y a aussi l’idée de passer les frontières, de la peur qui accompagne l’exil ou la découverte de l’ailleurs.»
Il y a dans l’aventure des Africains (comme le Congolais Julien Mabalia Bissila et le Comorien Sœuf Elbadawi), des Suisses (comme le comédien Romain Cinter), des Wallons (par exemple le metteur en scène Salvatore Calcagno), des Québécois et des Français. Ce qui a nécessairement amorcé une réflexion sur l’appartenance à la francophonie. «Le projet nous a invités à constater la mobilité de la langue française – cette langue qu’on parle tous, qu’on soit Québécois, Français ou Congolais, mais sans parler exactement le même langage. On se rend notamment compte que le rapport à la langue est toujours ancré dans le rapport à l’histoire et dans des combats politiques. C’est passionnant.»
Jusqu’au 5 septembre au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui