Septembre, d’Evelyne de la Chenelière: Violence sourde
Seule en scène pour porter son plus récent texte, Septembre, Evelyne de la Chenelière dessine patiemment les contours d’une cour d’école animée, à l’aube d’une tragédie. Une oeuvre contemplative et hyper-structurée pour dire un monde proche de l’implosion.
Dans cette oeuvre aux apparences douces, menée avec langueur et délicatesse par une Evelyne de la Chenelière élégante et songeuse, l’auteure fait le portrait d’une violence sourde, appelée à exploser. Elle tisse aussi une imparfaite et touchante relation mère-fille, faite de hauts et de bas, notamment marquée par le sentiment d’inadéquation de la mère venue chercher sa fille à l’école sans trop savoir comment s’y prendre. Il y a là des motifs récurrents de son oeuvre: allers-retours entre l’intime et le social; valse entre les temporalités et les niveaux de réel; pessimisme décliné dans l’intelligence et par un regard lucide sur le monde; expression d’un vif sentiment d’imposture et d’écartèlement. Mais ici, De la Chenelière fait un important travail sur la forme, son écriture paraissant renouvelée à travers de stimulants jeux d’échelle et de points d’appui du regard.
C’est une oeuvre très structurée, qui alterne les points de vue en toute fluidité. Le personnage de mère de famille, que la comédienne incarne très élégamment, passe rapidement de l’intime jusqu’à un regard surplombant sur le microcosme de la cour d’école (allégorie, bien sûr, de l’humanité dans sa diversité). La pièce resserre alors le regard sur chacun des petits groupes d’enfants composant le portrait d’ensemble, en laissant voguer l’imaginaire tout en architecturant des allers-retours entre ce petit monde et son propre univers. Une dramaturgie alternant la prise de vue à distance et l’angle rapproché, s’amusant avec les mots et la pensée comme avec la lentille du photographe.
À travers tout cela s’aménagent des répétitions et variations légères du récit, qui témoignent d’un manque de certitudes et de prise sur le réel, ou de la valeur égale des différentes postures d’observation. Le monde est friable et nous échappe, semble-t-elle dire, et aussi bien le percevoir dans ce qu’il contient d’imaginaire, de possibilités enfouies, de mondes possibles et de regards en biais.
C’est une dramaturgie de récits enfilés les uns aux autres de manière délicate et contemplative. Le texte aboutit dans la description d’une troublante tuerie à l’école en plein jour – l’une de celles à laquelle on a trop souvent assisté dans l’Amérique contemporaine. Mais la scène ne survient pas sans une patiente édification du contexte. Dans les récits qui précèdent la scène de carnage, la cour d’école aura été portraiturée dans l’ensemble de ses petites joies mais aussi et surtout de ses maux: intimidation ordinaire, solitude quotidienne et autres carences affectives.
Le regard, pessimiste, n’évite pas certains clichés. Mais ainsi la tuerie s’abat sur un monde triste que l’auteure aura d’abord patiemment décortiqué, en mode allégorique: les enfants avec lesquels la narratrice semble jouer comme avec des figurines sont évidemment les représentants d’une humanité souffrante mais résiliante, qui connaîtra un triste sort. Dans ce mouvement, le geste du tueur n’est bien sûr pas excusé. Mais il trouve dans les mots d’Evelyne de la Chenelière une mise en contexte qui invite à la réflexion et à une mise en perspective qui dépasse le jugement sentencieux ou l’émotion viscérale.
Un travail indéniablement intelligent et fertile, porté par la mise en scène minimaliste et imagée de Daniel Brière.
À l’Espace Libre jusqu’au 3 octobre