Guillaume Pepin / Trois nuits avec Madox : La taverne d’Ali Baba
C’est une mise en abîme : les comédiens jouent les piliers de bar devant la clientèle régulière de L’Autre-Zone dans Limoilou. Un acte de médiation culturelle radical, un genre de dialogue entre personnages fictifs et réels.
La scène au deuxième étage du bar de quartier accueille normalement des bands de métal, des princesas latinas en bikini (ça ne s’invente pas) et des « party steaks » selon ce qu’on a pu voir sur leur page Facebook. L’an dernier, le metteur en scène Guillaume Pepin y a étrenné sa relecture de Trois nuits avec Madox et conséquemment ajouté une nouvelle sphère d’activité à ce lieu pour le moins ouvert.
Son équipe et lui remettent ça cet automne avec une version bonifiée de la pièce et présentée par Premier Acte, mais toujours sur la 3e avenue. Pas question de changer une formule gagnante. « Le lieu est vraiment beau. Y’ a des briques partout, y’a des poutres de bois, de fer. C’est massif et c’est très haut. En plus, y’a deux bars et on en utilise un pendant le spectacle, dans la mise en scène. On utilise cet endroit-là à 100%. »
Trois nuits avec Madox a été écrit dans les années 90 par le roumain Matei Visniec, auteur fétiche de Pépin qui s’adonne aussi à être une quasi-vedette de la dramaturgie en Europe. « Il a une parole actuelle, mais avec une forme surréaliste semblable à Beckett et Ionesco. Ce que j’aime de Visniec, c’est qu’il a le côté cynique d’aujourd’hui et il est très humain. Ces personnages sont bien décrits, ils sont colorés, ils sont attachants malgré leur pathétisme. »
Mais attention : Visniec et Pepin ne se moquent pas de ces gens-là qui font somme toute assez pitié. L’exercice consiste plutôt à les humaniser. « On passe par des piliers de bar pour montrer qu’on est tous dans la recherche du paraître, d’avoir une vie bien remplie. […] Madox c’est leur idéal, c’est l’ailleurs, c’est l’amoureux que Clara n’a jamais eu. C’est tout ce à quoi les personnages aspirent, tout ce qu’ils ont toujours voulu avoir. Le vide qu’ils ont à remplir se passe dans le mensonge. »
Dans le radar à Jacques
Finissant du Conservatoire d’art dramatique en 2013, Guillaume Pepin bénéficie déjà de l’appui de ses pairs plus âgés qui offrent leurs services comme coachs. Si Lorraine Côté l’a conseillé pour la mise en scène, Jacques Leblanc a été son mentor pour la direction d’acteur. Une reconnaissance presque prématurée qui lui ouvrira sans doute les portes de La Bordée dans quelques années.
L’exploit est réel : Trois nuits avec Madox est la première « vraie » production de la jeune compagnie La Trâlée même s’ils ont déjà présenté des laboratoires et de lectures publiques dans le passé. Lucide et déterminé à sortir leur épingle du jeu dans une industrie déjà saturée, le groupe a élaboré une certaine forme de stratégie.
Leur mission est claire et se déploie en deux points. Le développement de public, cette idée de faire découvrir le théâtre contemporain à la masse, mais aussi le fait de présenter de nouveaux auteurs. « Personnellement, je trouve que ça manque un peu à Québec, des textes plus punchés et actuels. […] Disons qu’on aime nos classiques… En même temps c’est bien qu’on se souvienne d’où on vient, il faut qu’il y en ait. Mais je pense seulement qu’il faut avancer. »
Innover, aussi, et sortir des paradigmes avec des idées qui peuvent faire une réelle différence pour la relève. Comme ce souhait d’instaurer une tradition de « premières parties » comme dans les shows rock. C’est ce que Guillaume a choisi d’expérimenter en présentant Le Deuxième Tilleul à gauche, un diptyque de Visniec, juste avant le programme principal. « Ça donne un petit bonbon au début du spectacle, ça dure 12 minutes et après ça on part sur le second texte. […] Moi j’aimerais vraiment que ce soit toujours comme ça au théâtre, qu’une compagnie en invite une plus petite pour qu’ils viennent faire quelque chose avant. »
Du 29 septembre au 10 octobre
Bar L’Autre-Zone
(Une présentation de Premier Acte)