Polyglotte: Le Canada d'Olivier Choinière et de sa bande de Néo-Québécois
Scène

Polyglotte: Le Canada d’Olivier Choinière et de sa bande de Néo-Québécois

Le Canada, plusse meilleur pays du monde? C’est ce qu’Olivier Choinière tente d’analyser en compagnie d’immigrants du quartier St-Michel dans le spectacle Polyglotte. Expérience de théâtre-réalité.

Note de la rédaction: cet article est une nouvelle version d’une entrevue publiée dans le cadre du dernier Festival TransAmériques.

Olivier Choinière fait un théâtre très critique de la société, qui traque nos endoctrinements et nos rétrogradations collectives avec un souci pour le renouvèlement des formes. Mais voilà qu’il a le désir de cesser de s’adresser au public habituel des scènes institutionnelles et de sortir dans les rues pour rencontrer un autre monde. L’immigrant, le néo-Québécois, le citoyen issu de la diversité, appelez-le comme vous voulez, est celui qu’il veut maintenant conquérir – en commençant par l’inviter lui-même sur scène pour raconter, de diverses manières, son histoire.

Co-directeur artistique du Théâtre Aux Écuries avec une dizaine de comparses, Choinière a commencé à méditer le projet Polyglotte quand ce théâtre s’est enfin installé en 2011 aux intersections des rues Chabot et Everett, dans un quartier multiethnique où les voisins sont des gens enthousiastes, fraîchement débarqués du Pakistan ou d’Haïti, mais qui ne mettent pas souvent les pieds dans ce pourtant très sympathique lieu de diffusion et de production théâtrale. Il a réuni un groupe d’immigrants rencontrés dans les groupes de francisation du quartier et les a fait entrer en salle de répétition. Déjà, l’expérience de les diriger, de développer avec eux un langage théâtral commun, fut une expérience fascinante qui a, dit-il, «remis en question les codes du jeu et de la présence». Mais il n’allait pas s’arrêter là.

«C’est un spectacle, dit-il, dans lequel je voulais qu’on entende la voix de ces immigrants-là et qu’on soit confrontés à leur vision du territoire montréalais et de ses occupants. Je leur ai demandé de raconter leur réalité, de nous dévoiler l’image qu’ils se font de nous pour qu’on puisse la mettre en parallèle avec celle que nous nous faisons de nous-mêmes. Évidemment, étant moi-même très critique de ce que notre pays devient, j’avais l’impression qu’ils allaient exprimer le même désenchantement. Je me suis trompé. Ils sont enthousiastes, excités par les défis de leur intégration chez nous, même si les défis sont de taille. Le spectacle tisse un fil croisé entre leur regard sur le Canada et le mien.»

Polyglotte / Crédit: Eugene Holtz
Polyglotte / Crédit: Eugene Holtz

 

Ainsi, en tournant son regard vers «eux», l’artiste finit par poser des questions sur «nous». Si sa troupe de non-acteurs répond par moments sur scène à un questionnaire de citoyenneté, Polyglotte se structure aussi autour d’un cours de langue des années 60, sur cassette, en version anglaise et française. Une marée de phrases creuses à apprendre pour s’acclimater aux deux langues du Canada: voilà qui a permis à Choinière et sa complice Alexia Bürger de mesurer la manière dont le Canada aime se présenter au nouvel arrivant, à travers des clichés qui ont la couenne dure et des représentations fantasmatiques et éculées du «plusse meilleur pays au monde».

«Le Canada que ces phrases d’apprentissage dépeignent, explique Choinière, est un leurre qui, consciemment ou inconsciemment, peut orienter l’immigrant dans sa perception du pays. Le pays pacifique, jovial et interculturel que ces cassettes semblent présenter ne me semble pas du tout correspondre à la réalité et je trouve intéressant de mettre ce fantasme du Canada en relief, pour y poser un œil critique.»

Évidemment, Choinière marche en équilibre sur un fil précaire. Entre la vision candide et enthousiaste portée par son groupe d’immigrants et ce regard critique acéré sur le Canada de Stephen Harper, il y a un monde. «Le choc de ces deux regards est hyper stimulant, très signifiant, dit-il, mais je dois faire attention de ne pas instrumentaliser les participants du spectacle pour leur faire porter mon discours critique, qui leur est étranger. Il y a un tas de nuances à cultiver dans ce processus de création; c’est une aventure assez périlleuse.»

 

Jusqu’au 3 octobre aux Écuries