FIL : Une nouvelle stonerie poétique de Loui Mauffette
Le roi du cabaret poétique décomplexé, c’est lui. Après Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent, puis Dans les charbons, voici Est-ce qu’on pourrait pleurer un tout petit peu, incomparable soirée de textes et de musiques orchestrée par Loui Mauffette.
«J’ai eu la chienne», dit Loui Mauffette en racontant qu’il avait d’abord prévu faire un spectacle solo et qu’il s’est ravisé à la dernière minute, invitant notamment les comédiens Maxime Denommée et Kathleen Fortin à l’accompagner dans l’aventure. On connaît sa légendaire aversion des planches: phobie qu’il a domptée à quelques reprises ces dernières années en montant fièrement sur scène pour faire la fête aux mots dans des spectacles inclassables. Il a eu peur de la scène, certes, mais il a aussi lutté contre la crainte d’«être prétentieux». La poésie, ça se partage, ça se vit en groupe, c’est toujours un appel au collectif. Quand il est bien accompagné, après tout, Loui Mauffette ose se mettre en scène dans tout ce qu’il est. «Je pense, dit-il, qu’il faut plusieurs textures, d’autres parfums que le mien, pour rendre les différents climats des textes, pour en explorer différentes visions.»
Également du groupe, Benoît Landry s’occupe de la direction musicale, et quelques autres acteurs font des apparitions surprise. Un peu comme dans la «stonerie poétique» Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent, où Mauffette dédiait les mots de Léo Ferré ou de Gaston Miron à la mémoire de son célèbre père, dont l’émission de radio fit légende. Cette fois, l’attaché de presse du Théâtre du Nouveau Monde (il y fait partie des murs depuis plus de 20 ans) invente une soirée en hommage à son enfance, entre doucereuse mélancolie et souvenirs festifs d’une table remplie des amis artistes de son père.
Le fantôme de Félix Leclerc, notamment, hantera ce spectacle d’une manière particulière. «Ma sœur était la filleule de Félix Leclerc, et chez nous on a beaucoup connu Félix dans sa première vie – avant la famille Leclerc. C’est le Félix de l’époque où il n’était pas encore légende. J’ai voulu qu’il fasse partie du spectacle.»
Mais revenons à l’enfance. Elle est un «couteau planté dans la gorge», faisait dire Wajdi Mouawad à plusieurs de ses tragiques personnages, manière de dire qu’on ne s’en débarrasse jamais sans douleur. Loui Mauffette, pourtant, a vécu toute sa vie de jeune adulte sans se préoccuper du passé. Mais la maturité le ramène à cette enfance qu’il aime aujourd’hui célébrer. «Quand mon père est décédé, j’y suis retombé. Et ces dernières années j’ai aussi perdu mon frère, ma sœur et ma mère. Ça replonge inévitablement son homme dans l’enfance.»
À travers les textes de différents auteurs, le petit Loui remonte le fil de ses obsessions, de ses joies et de ses blessures. Il évoque notamment en entrevue «la culpabilité de ne pas être assez intellectuel». «Je suis un lecteur, un passionné fou de la culture, et j’ai une bonne compréhension des oeuvres, mais chez moi c’est toujours le cœur et le ventre qui lisent et qui écoutent en premier. Je lis et je regarde avec tous mes sens.»
Plus tard, il parlera de la mort, qu’il dit craindre mais aimer désormais regarder en face: «J’essaie de la faire swinguer, de lui donner un torticolis, de la bousculer, la bricoler, la triturer! Dans ce spectacle, je rigole de mes cauchemars, de mes défauts, de toutes mes failles. Je mets de l’avant tout ce qui ne fonctionne pas avec moi. Avec beaucoup d’humour. Et ça fait vraiment du bien!»
C’est pour cette raison, notamment, qu’on entendra un peu de Beckett dans cette nouvelle pièce. «Il parle de l’incapacité de dire, de l’absence, de l’empêchement de faire. Ça me fait inévitablement penser à l’Alzheimer de ma mère.»
Il est volubile, entier et extravagant, Loui Mauffette, mais il est aussi fort modeste. Il avoue par exemple aimer la poésie d’Aimé Césaire même s’il ne «comprend pas tout». «Je commence à le comprendre, enfin, mais j’ai toujours eu beaucoup de mal avec lui. C’est comme François Guerrette; je suis profondément amoureux de lui mais je ne pige que la moitié de ce qu’il écrit.»
Le cocktail de textes comprend aussi des textes tout neufs qu’il a commandés à Mani Soleymanlou et Evelyne de la Chenelière. Ou encore les mots de Pierre Peuchmaurd – «un poète français extraordinaire qui a vécu à Montréal et qui me fait penser à Gauvreau». Et un soupçon de la poésie d’Henri Michaux. Entre autres.
Se dégagent de toute cette poésie, évidemment, les thèmes contrastés de l’«amour obsessif» et de la «solitude éternelle» . «Je suis un homme profondément seul, confie Mauffette. Malgré le nombre infini de gens séduisants et stimulants que je rencontre dans ma vie professionnelle, je me sens étrangement seul.»
Parions que les spectateurs, eux, seront nombreux à se déplacer pour sa «stonerie».
À la 5e salle de la Place des Arts le lundi 28 septembre à 19h, dans le cadre du FIL (Festival international de littérature)