La liberté : Être ou ne pas être
Scène

La liberté : Être ou ne pas être

Jusqu’où a-t-on le droit de décider de rester en vie? À une époque où l’idée du suicide assisté bénéficie d’une grande acceptabilité sociale, l’auteur dramatique Martin Bellemarre questionne le droit de mourir et son institutionnalisation dans la pièce La liberté. Entrevue.

Vous avez envie de mettre fin à vos jours? Dans le monde imaginé par Martin Bellemarre, vous pourriez le faire au terme de deux rencontres avec un agent du gouvernement, dévoué à assurer à tous la liberté de disposer de sa propre vie. Sa pièce La liberté, mise en scène par Gaétan Paré, mêle l’intime et le politique, faisant doucement intercaler la vie privée de l’un de ces agents de la mort avec sa vie professionnelle. Et vlan, les certitudes se dissipent.

«Ma pièce, dit-il, résonne fort avec l’actualité québécoise et son projet de loi Mourir dans la dignité, c’est vrai. Mais elle prend en fait ancrage dans un questionnement qui m’habite depuis toujours au sujet du droit de choisir de se donner la mort. Quand j’étais ado et que je commençais à m’ouvrir à toutes sortes de questions métaphysiques, j’ai vécu ma première rencontre avec l’idée du suicide et, pour vrai, je pensais que tout le monde passait par là, tôt ou tard. Or j’ai bien compris plus tard qu’il n’en était rien, et que cet enjeu du droit à se donner la mort est une chose qui questionne énormément les valeurs des gens et que c’est passionnant. Je me souviens d’avoir vraiment choqué une amie rencontrée dans le bus en lui disant que je comprenais le geste d’un suicidé de notre entourage, que je l’acceptais. Cet enjeu-là soulève vraiment les passions. »

Martin Bellemarre / Crédit: Francis-William Rhéaume
Martin Bellemarre / Crédit: Francis-William Rhéaume

Également marqué par la pensée de Camus sur le suicide, notamment dans Le mythe de Sisiphe, Bellemarre s’est notamment nourri des grandes œuvres au sujet de la mort et du sentiment d’absurdité : ses personnages citent Shakespeare et savent parler de la mort, pourtant un grand tabou social que les Occidentaux n’osent pas souvent aborder dans leurs conversations quotidiennes.  «A Beyrouth, on me racontait que les gens en rient presque, intègrent la perspective de leur finitude à leur quotidien. Chez nous, rien de tel, juste un gros malaise ambiant. Pourtant, on est dans une société de l’obsolescence. Mais notre propre obsolescence, on ne sait pas en parler, on ne sait pas composer avec.»

C’est  une pièce en trois actes, à la structure très précise : un théâtre tragique qui ne laisse rien au hasard. «A travers ces 3 actes, explique Bellemarre, on explore en quelque sorte le sujet selon 3 points de vue. J’ai voulu respecter une sorte d’efficacité tragique, qui fait aussi écho à la rigidité et à la rigueur du système gouvernemental que j’ai imaginé autour du suicide éclairé de mes personnages.»

Au centre de la pièce, il y a Mary et Paul, un couple qui s’aime depuis de nombreuses années mais qui voient une partie de ce qu’ils avaient intellectuellement en commun s’effriter. « J’ai imaginé qu’à leurs débuts comme couple, leur relation s’est solidifiée autour de  l’idée de la liberté de vivre et de la liberté de mourir. Mais quand ça devient administré et institutionnalisé, y perdant un peu d’humanité au passage, les choses se mettent à déraper. Mais j’ai voulu être nuancé, jamais catégorique ou sentencieux. Je ne veux pas prendre position.»

Le consentement à mourir peut-il être vraiment éclairé? C’est l’une des difficiles questions qui se présentent dans le débat. «Il y a toujours une ambivalence possible, selon le point de vue. On peut valoriser le suicide organisé, croire que la personne est la seule à pouvoir choisir. Mais jusqu’où, vraiment? Je ne veux pas prendre position, j’ai voulu créer un matériau théâtral qui permet de réfléchir à la question.»

 

Jusqu’au 24 octobre au Théâtre Denise-Pelletier