Diversion / L’autofiction et l’amitié / Une entrevue avec Cédric Patterson
Cédric Patterson fait depuis ses débuts un théâtre résolument féministe au sein du Théâtre Acharnée. Mais leur nouveau spectacle, Diversion, une autofiction qui creuse des archétypes sociaux et les met en dialogue avec le public, est moins frontalement revendicatrice. Discussion.
Dans Jaune, en 2009, le Théâtre Acharnée auscultait la femme contemporaine sous toutes ses coutures, sur une scène assiégée par une tonne de citrons et dans un esprit performatif. Un spectacle féministe conçu bien avant que ceux-ci redeviennent à la mode (ils sont désormais légion sur la scène montréalaise). Ces dernières années, le Théâtre Acharnée a renchéri au moyen d’un spectacle-hommage à Pauline Julien, T’en souviens-tu Pauline?, dans lequel la comédienne Audrée Southière renouait avec les chansons mais surtout la pensée féministe et progressiste de la poétesse québécoise des années 1960. Deux époques, deux tons, mais un même féminisme : la compagnie revendique un regard féministe contemporain qui ne rejette pas les luttes du passé, tentant plutôt de s’y inscrire puissamment.
Diversion, créée au Fringe en 2013, est toutefois une pièce d’une autre nature. «En tant que compagnie de théâtre, explique Cédric Patterson, nos valeurs féministes continuent d’être au fondement de toute notre démarche. Mais c’est vrai que Diversion est moins frontal dans son approche des enjeux féminins. Mais on a travaillé avec les actrices des personnages archétypaux qui permettent quand même de décortiquer la condition féminine contemporaine. Sabrina Casault, par exemple, joue l’archétype de la mère, celle qui ne peut s’empêcher de materner tout le monde tout le temps.»
Ne confondons pas «archétype» et «stéréotype». Patterson et sa bande ne cherchent pas à réduire les personnalités dans des postures caricaturales, bien sûr. Il s’agit plutôt de chercher dans des archétypes une matière propice à fouiller l’humanité, à chercher l’universel, en s’inspirant lointainement des théories de Karl Gustav Jung.
«On est partis de nous, explique le comédien, dans une démarche d’autofiction pure. Mais nous nous amusons aussi à représenter des versions fantasmées de nous-mêmes; on joue aux frontières du vrai et du faux. Audrée Southière, par exemple, est l’artiste incomprise dans ses projets et un peu désespérée, qui se lance dans le projet impossible de chercher à assister à sa propre mort. Mathilde Addy-Laird est l’engagée, la fille politisée, la révolutionnaire qui veut changer les choses. Et moi, torturé par le fait que je ne parle pas anglais même si mon grand-père est anglophone, je me mets en scène en abordant ce rapport trouble avec la dualité linguistique, mais j’aborde aussi par la bande mon rapport avec ma mère.»
Si la pièce est éclatée et cultive en apparence la spontanéité dans le dévoilement de soi, elle ne repose pas sur l’improvisation. Diversion a été l’objet d’un travail d’écriture important, assure Cédric Patterson. «Chaque image, chaque symbole, fait l’objet d’une décortication qu’on a voulu la plus rigoureuse possible. La relation entre les 4 amis sert de liant dramaturgique : c’est une pièce sur l’amitié, qui emprunte la forme rassembleuse d’un souper arrosé. Il y a des moments de grande intimité entre nous; une grande vulnérabilité aussi. C’est un show de prise de parole sans filets.»
À partir de ces conversations disparates et sans compromis se tisse une réflexion sur le vivre-ensemble et sur la pression sociale ressentie par les quatre amis. «On est poussés dans la vie à être responsables de nous -mêmes tout le temps, analyse Patterson. Chacun ferme ainsi la porte sur soi et se responsabilise pour sa propre vie et ses propres trucs, et je trouve que c’est une pression sociale trop forte. En se rassemblant pour dialoguer, on cherche à faire un pied de nez à cette société-là, cherchant un nouvel espace commun.»
Au Théâtre La Chapelle jusqu’au 24 octobre