Catherine Bourgeois / Je ne veux pas marcher seul : La peur en marche
Scène

Catherine Bourgeois / Je ne veux pas marcher seul : La peur en marche

Elle se passionne pour l’Amérique et sait la remettre en question dans des spectacles interdisciplinaires créés avec des distributions hors-norme. Catherine Bourgeois persiste et signe, interrogeant la xénophobie ordinaire dans la pièce Je ne veux pas marcher seul.

Ses acteurs vivant avec une déficience intellectuelle arrivent sur scène chargés d’une forte présence et se racontent en s’amusant des frontières entre la réalité et la fiction. C’était le cas d’Elvis ou d’Avale, des spectacles tirant également profit des talents de danseurs et performeurs aux expériences de scène très variées, pour une forme théâtrale interdisciplinaire en constante évolution. Catherine Bourgeois continue en ce moment en résidence aux Écuries un travail de cette nature, flirtant pour la première fois avec le spoken word et s’adjoignant aussi l’expertise du concepteur d’éclairage Martin Sirois, avec qui elle s’est demandé s’il était possible d’«éclairer sans installer 60 lampes». Je ne veux pas marcher seul est uniquement éclairé par la lumière d’un projecteur vidéo, relayée par un système de caméras. Intrigant.

C’est une inventrice de nouvelles formes, mais surtout une habile penseuse de l’Amérique, dont les tribulations sociales la passionnent depuis toujours. Cette fois, c’est l’histoire du jeune Afro-Américain Trayvon Martin qui a été l’élément déclencheur de son processus de création. Cet ado tué par balles en février 2012 à Sanford, en Floride, a été victime d’un crime haineux et racial alors qu’il ne faisait rien d’autre que marcher en parlant au cellulaire. Une histoire semblable est arrivée à Michael Brown, abattu par un policier du Missouri (l’affaire évoque aussi celle de Fredy Villanueva chez nous). Des meurtres motivés par la peur de l’autre.

«En tant que femme blanche privilégiée, je ne suis pas en position de parler de racisme, ce n’est pas ma place, mais je veux parler du sentiment de la peur, explorer comment elle transforme la réalité pour la faire s’accorder avec notre préconception des choses. Ces meurtres-là viennent d’une discrimination à l’égard des minorités et sont motivés par la peur.»

Sur scène, c’est par le comédien Edon Descollines que se déploie le regard de Catherine Bourgeois sur cette épineuse question. Jeune homme noir vivant avec une déficience intellectuelle, Edon est en proie à une double discrimination. Le comédien est pourtant un bon vivant que vous avez peut-être croisé dans le métro avec son enregistreuse en train de faire du slam et de gratifier le quotidien montréalais de sa poésie spontanée, avec son rythme particulier.

Peu à peu, en faisant le parallèle avec les cas célèbres d’actes xénophobes aux États-Unis, le spectacle tisse aussi une réflexion sur un Québec apeuré par la diversité ethnique après les épisodes politiques de la Charte et du niqab. L’enjeu des femmes autochtones violentées s’insère aussi dans le portrait d’ensemble.

«Je m’intéresse au regard de la personne qui voit le démon, de la personne qui a peur. Les gens se sentent parfois menacés dans leur intégrité physique mais aussi, plus subtilement au Québec, dans leur identité. Or, le filtre de la peur déforme la réalité.»

Inspiré par les travaux de Michel Pastoureau sur l’ours comme symbole de la peur, le spectacle de Bourgeois est hanté par l’image de l’ours effrayant comme par celle du teddy bear que l’enfant considère comme son allié. «Edon peut avoir l’air d’un ours, dit-elle, mais c’est un ourson. Je trouve cette image forte et apte à représenter les fausses idées que beaucoup de gens se font au sujet de l’étranger dont ils ont peur sans raison.»

 

Du 17 novembre au 5 décembre au 435, rue Beaubien Ouest.
Une présentation des Écuries.