Guerre et paix: Les hommes sont les marionnettes de l’histoire
Avec Guerre et Paix, en plus de réussir l’impensable adaptation du dense roman de Tolstoï, Antoine Laprise et son Loup Bleu reviennent à l’esthétique marionnettique variée et féconde qui avait fait le succès de La Bible et du Discours de la méthode.
Les hommes sont les marionnettes de l’histoire. Ainsi résume-t-on la pensée de Tolstoï, patiemment démontrée dans son long chef d’œuvre Guerre et paix : un roman de guerre et d’amour dans lequel les hommes se soumettent aux lois du plus fort et perdent doucement leur idéalisme. Même s’ils continuent à croire à l’amour.
Rien de mieux qu’un spectacle de marionnettes, donc, pour raconter cette histoire de manipulation des hommes par les forces de la guerre. Avec leur inventivité manifeste, Antoine Laprise et Jacques Laroche (accompagnés de Julie Renault et Paul-Patrick Charbonneau) le prouvent en créant des champs de bataille de carton-pâte et en faisant s’animer des soldats de mousse dans un théâtre épique et ludique qui a la mérite de raconter à distance et de favoriser la réflexion. Les marionnettes, dans leur variété de formes et à travers les manipulations à vue par les comédiens, jouent le même rôle que la narration distanciée et philosophique de Tolstoï. Quand, en plus, il y a de l’humour et de la musique, on ne peut en rien regretter le naturalisme de l’écriture tolstoïenne, ici gentiment écarté au profit du plaisir de la narration, de la pirouette marionnettique et de la mise en perspective.
Le Théâtre du Sous-Marin jaune offre ici un spectacle plus semblable au Discours de la méthode (2005) qu’au plus récent Les Essais (2008), dans lequel était tentée l’aventure de la création d’un film en direct sans qu’y soit insufflée la caractéristique fougue de la compagnie. Parfois, il vaut mieux revenir aux valeurs sûres.
Comme d’habitude, le Loup Bleu, marionnette érudite et fine pédagogue, est aux commandes et interagit avec le spectateur, prodiguant ici et là une consigne ou un éclaircissement. Loup Bleu est sympathique, ses clarifications philosophiques sont toujours justes et il a beaucoup d’esprit, mais parfois ses interventions n’évitent pas le piège de la redite et de la surexplication. Les grands constats fatalistes de Tolstoï sont déjà tellement bien représentés par le concept même du spectacle de marionnette : on se dit que certaines interventions du loup auraient pu nous être évitées.
Mais c’est une bien mince faille dans la construction dramaturgique autrement très habile de cette pièce qui réussit son pari de résumer Tolstoï sans le réduire. Chapeau.
Jusqu’au 21 novembre au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui