Luce Pelletier : En route vers un cycle scandinave
Scène

Luce Pelletier : En route vers un cycle scandinave

Elle travaille par cycles, consacrant plusieurs années à découvrir les dramaturgies d’un pays ou d’une région. Le nouveau point de mire de Luce Pelletier et du Théâtre de l’Opsis est la Scandinavie, et ça commence par une pièce danoise de Line Knutzon, Bientôt viendra le temps.

Ah! La Scandinavie! Bastion d’une social-démocratie à toute épreuve, où le peuple semble couler des jours heureux sans que jamais ne soit menacé son filet social, richesse collective hautement chérie. Lieu de résistance de la gauche en Europe, où ne semble pas monter, comme ailleurs, une droite renouvelée et populaire. Territoire nordique bordé de montagnes majestueuses et de conifères qui rappellent les nôtres et alimentent nos rêves. Le Québec se plaît à se comparer à la Scandinavie et la metteure en scène Luce Pelletier fait partie du lot. Y a-t-il dans notre nordicité commune, s’est-elle demandé, un souffle qui nous ferait écrire de la même manière? Vaste, vaste question.

«Je n’ai évidemment pas de réponse à cette question. Mais ce qui est certain, c’est que les auteurs contemporains en Suède ou au Danemark ne suivent plus les traces de Strindberg ou d’Ibsen. Fini le naturalisme: il y a une grande liberté dans les formes, un éclatement dramatique manifeste, qui suit la tendance mondiale d’un théâtre polyphonique souvent conçu en étroite cohésion avec la mise en scène. Pour une femme de texte comme moi, c’est un peu déroutant. J’ai rarement eu autant besoin de deuxièmes lecteurs, de seconds avis, de remises en question de mes premières impressions. C’est un exercice intellectuel stimulant.»

Pelletier a aussi refusé de tomber dans le piège des restrictions frontalières. Car ce qu’on appelle la Scandinavie n’inclut théoriquement pas l’Islande et la Finlande, pays que la culture populaire a toujours associés à ce territoire composé de la Suède, du Danemark et de la Norvège. «Je me suis donné la liberté de porter sur la Scandinavie un regard large et personnel, incluant tous les pays qui m’y semblent associés. La Finlande est toutefois un cas à part, on y parle le finnois et y cultive sa différence.»

On pourrait s’attendre de ces pays, dont la culture politique fascine un bon nombre d’entre nous, que leurs auteurs soient politisés et engagés dans une écriture très ancrée dans le social. Il n’en est rien, raconte Luce Pelletier. «Je pense que, pour eux, les acquis sociaux sont justement tellement acquis et peu remis en question que le théâtre ne ressent pas le besoin d’en parler. Il n’y a pas de résistance politique à accomplir via le théâtre. Leurs écritures sont donc plus intimistes et plus franchement formalistes. Cela dit, je sens que l’enjeu de l’interculturalisme, de l’immigration, commence à les toucher et risque d’engendrer quelques textes de théâtre à caractère plus social sous peu. Un peu comme au Québec, où ces problématiques teintent de plus en plus notre dramaturgie.»

 

Bientôt viendra l’éclatement

Catherine Proulx-Lemay (Rebekka), Pierre-François Legendre (Hilbert) et Caroline Bouchard (Ingrid) / Crédit: Marie-Claude Hamel
Catherine Proulx-Lemay (Rebekka), Pierre-François Legendre (Hilbert) et Caroline Bouchard (Ingrid) / Crédit: Marie-Claude Hamel

 

La pièce de Line Knutzon qu’elle a choisie pour entamer le cycle, Bientôt viendra le temps, est représentative de ce théâtre qui s’éclate dans les formes et qui fait dérailler l’espace-temps. On y rencontre deux couples en pleine rupture, dans des conversations soudainement perturbées par des trous de mémoire et des décalages temporels qui demeurent parfois inexpliqués et inexplicables. «C’est une pièce sur l’effritement du couple, dit Luce Pelletier, mais à la manière d’un Beckett ou d’un Ionesco remixé. Des scènes de la vie conjugale vues d’un œil un peu halluciné. Et l’auteure cultive le mélange des genres de manière déroutante, passant du théâtre réaliste au théâtre de boulevard en deux temps trois mouvements, faisant aussi escale dans une tragédie classique ou un suspense.»

Les Danois étant aussi, comme tous les artistes de théâtre occidentaux, très influencés par les écritures contemporaines allemandes (formes fragmentées ou théâtre-récit), le style absurde et éclectique de Line Knutzon a été très rafraîchissant dans le paysage scandinave lors de la création de cette pièce en 1999. «Les acteurs sont dans un terrain de jeu formidable avec cette pièce, dit Luce Pelletier, mais ça n’a pas été tout le temps facile parce qu’il y a mille manières de faire les choses avec cette écriture vraiment déroutante et parce que les personnages sont inconstants et inadéquats. On a beaucoup tâtonné, fait des essais et erreurs. C’est vertigineux, mais amusant.»

C’est une pièce sur le temps qui passe et qui use, «sur des personnages qui ne savent plus prendre le temps de vivre», précise la metteure en scène. «Et c’est souvent hilarant», promet-elle.

 

À l’Espace GO jusqu’au 12 décembre 2015