Théâtre à lire: Faire l'amour, de Anne-Marie Olivier
Scène

Théâtre à lire: Faire l’amour, de Anne-Marie Olivier

Avril 2014. Anne-Marie Olivier étrennait une nouvelle création intitulée Faire l’amour au Théâtre Périscope, une pièce qui allait rapidement devenir une favorite de l’équipe de la rédaction à Québec puis Montréal. « Un porno pour le coeur » , comme on l’avait écrit sur le coup de l’émotion.

Philippe Couture, chef de la section scène, a sélectionné ce passage avec la complicité de l’auteure qui s’adonne aussi à être la codirectrice générale et directrice artistique du Théâtre du Trident le jour. Une personnalité archi importante du théâtre dans la Vieille Capitale.

Un segment mémorable livré par un Éliot Laprise convaincant, à fleur de peau sans trop en faire.

Éliot Laprise dans Faire l'amour (Crédit: Stéphane Bourgeois)
Éliot Laprise dans Faire l’amour (Crédit: Stéphane Bourgeois)

 

La pièce Faire l’amour sera présentée en supplémentaire du 8 au 12 décembre au Théâtre Périscope.

Vous pouvez également vous procurer le texte intégral publié aux éditions Atelier 10. Une belle idée de cadeau de Noël pour votre tendre moitié.

 

Une nuit d’amour pour Henri

Un jeune, très relaxe.

 

J’ai souvent compris que mes colocs se ramenaient une fille
en remarquant dans l’entrée une nouvelle paire de souliers.
Pis celle-là, on pouvait pas la manquer : une petite paire de souliers délicats, dans l’entrée d’un appart de gars.

Le chanceux à soir, c’est Henri,
5 pieds 7, les yeux bleu-gris.
Y’est con, ben non y’est brillant.
Y’est vedge, mais c’est un méchant crinqué de sport.
Y’est vraiment gêné, non y’est explosif.
Y’est sweet, mais y pogne les nerfs,
ben je sais pas, y’est loyal, y choke jamais.
Y parle pas beaucoup, mais des fois y fait des sketchs d’une heure.

Par exemple, on joue au hockey dans la même équipe, lui à l’attaque, moi à la défense. Un moment donné, je sais pas trop pourquoi, y se pogne avec l’arbitre, j’essaye de les séparer, y m’engueule. On se chamaille solide, on se varge. Tout d’un coup, dans le milieu de la bagarre, y me donne un bec pour niaiser. On est crampés, tsé c’est Henri, y’est parfait, ben normal là.
Je l’ai jamais vu avec une fille. Je le connais depuis la maternelle, là on a vingt-quatre ans, y’a jamais eu de blonde.

J’ai vu les souliers délicats dans l’entrée.
Sans espionner ni rien, je les entends.
J’me crosse pas ni rien, mais chus content.

Je pense qu’y ont fait l’amour trois fois. Ben je pense là, à l’oreille mettons. Je sais pas si son lit était pas solide ou s’ils l’ont particulièrement swigné, mais il s’est effondré. Je les ai entendus éclater de rire pis continuer.

Le lendemain matin, je les ai pas croisés, je dormais. J’ai juste vu qu’y ont mangé du beurre de peanut.

Le soir, on est dans un party. On n’a pas le temps de parler. J’ai juste dit que j’avais vu les souliers. Y’a souri. Dans ses yeux. Là où y’a le plus souri, c’était dans ses yeux.

Après ça, on a bu de la bière, pis un moment donné y’est parti dans sa Honda. Comme toute les gars ce soir-là, Beaucerons, genre normal là. Y s’est endormi en conduisant, y’est mort à vingt-quatre ans.

Y’avait tellement de monde à l’église de Saint-Lazare pis au salon funéraire. J’ai pas arrêté une seconde de serrer des mains pis du monde dans mes bras.

Sa cousine pis ses chums ont joué sa toune préférée de Weezer, « Butterfly ». En tout cas, là, j’me suis braillé dessus, sans retenue.

Son frère m’a dit qu’y’avait un mot pas signé dans le livre des funérailles, une écriture de fille : « J’ai connu votre garçon y’a deux jours, je m’en ennuie déjà. Merci. » Y m’a demandé si je savais c’était qui.

J’ai juste vu ses souliers. Pour la retrouver, faudrait comme faire Cendrillon à l’envers, pas de prince charmant au boutte. Faque on a comme laissé faire.

Là, mes souvenirs de lui commencent à s’étioler.
J’me souviens de ses yeux, y me reviennent tout le temps.

Y’a pas de consolation à sa mort, aucune.
Mais ça me fait un baume de savoir qu’au moins,
Henri a eu avant de partir une première nuit d’amour