Collectif Grande Surface : Beaucoup de bruit pour rien
Naissance d’une nouvelle jeune troupe de théâtre à La Chapelle: le Collectif Grande Surface offre un spectacle éclaté et bruyant autour des textes de Rodrigo García, Et quand vient le silence… (on se rend compte que personne n’avait rien d’important à raconter).
Joanie Poirier et Jonathan Saucier, qui ne se disent pas metteurs en scène mais «responsables de l’écriture de plateau», sont des adeptes de créations collectives polyphoniques dans lesquelles tout le monde y met du sien et dans lesquelles le spectacle s’écrit en répétition dans l’effort commun, l’impro et le mélange des voix. Elle est comédienne, il est scénographe, ils sont tous deux issus de l’UQAM, où ce spectacle a d’abord vu le jour. «Cette pièce est née de notre intérêt pour la dramaturgie de Rodrigo García, dit Joanie Poirier. Ses textes m’ébranlent tout en me laissant un sourire au visage. J’aime son regard sans compromis sur la société de consommation comme j’aime son ironie.»
García, enfant terrible de la dramaturgie espagnole, d’origine argentine, est connu pour un théâtre qui met en pièces le consumérisme ambiant par les voies de la surcharge. Surcharge de mots, d’abord: ses textes sont logorrhéiques et rythmés. Mais également, surcharge de bouffe et d’objets: ses mises en scène fonctionnent par accumulations et transforment souvent le plateau en quasi-dépotoir. Le matériel nous envahit, dit-il, comme la malbouffe qui prend possession de nous (nombre de ses pièces utilisent l’excès alimentaire comme métaphore du capitalisme tentaculaire ou même du totalitarisme).
Incapables de choisir une seule pièce parmi un corpus de 40 œuvres toutes plus incisives les unes que les autres, les membres du Collectif Grande Surface ont bricolé un spectacle inspiré de plusieurs textes aptes à traduire le rapport de García avec l’animalité et le corps, témoignant d’une relation avec le vivant qui serait en perdition dans ce monde de consommation effrénée.
«Notre spectacle est bruyant et coloré, explique Poirier. On fait du bruit pour ensevelir la pensée unique et évoquer un propos multiple. García est parfois très frontal, mais il ne veut pas faire la morale; il a une pensée qui se démultiplie et qui engage le spectateur dans différentes lectures. On crée des tableaux sensibles dont les interprétations varieront profondément d’une personne à l’autre. On travaille surtout l’idée d’une petite personne dans un grand espace. On fait référence par là au grand magasin à surface, mais aussi au grand terrain de jeu qu’est le monde, à l’idée de se sentir petit dans un grand espace humain sur lequel on n’a plus de prise. García parle beaucoup d’hypercapitalisme, mais par là il parle beaucoup de solitude. Même si l’individu s’étourdit, il finit toujours seul. Les tentatives de rendre sa vie extraordinaire sont généralement vaines.»
Vous l’aurez compris, García n’est pas un grand optimiste. Les jeunes artistes du Collectif Grande Surface ne le sont pas davantage. «Mais García a de l’humour, poursuit Joanie Poirier. Il est ironique et pince-sans-rire. Le cynisme complet, de toute façon, est inintéressant et infécond. On a travaillé un esthétisme délirant à travers le rêve, le paranormal, les couleurs. García vient de la pub; il en reprend les codes pour manipuler son public. Notre spectacle essaie de créer une magie, du fantastique, une couleur pop party, mais, en arrière-plan, il plante un coup de couteau dans le dos du spectateur, tente de lui parler autrement, de lui faire voir un autre discours.»
Et comment y arriver? Par une esthétique interdisciplinaire foisonnante, qui mêle vidéo et effets de projection, travail sonore sophistiqué et variation des modes de parole, ainsi que quelques savoureux détournements de la culture pop. Entre autres.
Du 8 au 12 décembre au Théâtre La Chapelle.