Cabaret Politique et Bouffonneries 2015 : Le nécessaire défoulement
Il y a la revue de l’année du Rideau Vert, certes. Mais il y a aussi, dans le champ gauche, une équipe qui réalise chaque année avec des bouts de ficelle le Cabaret Politiques et Bouffonneries, histoire de rire de l’année qui s’achève même quand le budget de perruques est restreint. Entrevue avec le comédien Richard Fréchette, qui met en scène les sketchs de Philippe Lemieux et sa bande depuis 9 ans.
Rien ne prédestinait le comédien Richard Fréchette, connu pour son travail chez Robert Lepage et pour de nombreux rôles à la télé, à s’acoquiner avec une bande de trentenaires autour d’un cabaret politique qui, même sans moyens, réussit chaque année l’ambitieux pari d’une revue de l’année. Il a été séduit par les textes de Philippe Lemieux et par une jeunesse « allumée et politisée ».
Car ce souverainiste convaincu a vu sa ferveur péricliter au fil du temps et à mesure que le combat indépendantiste s’amenuise. «Je reste tout de même un homme politisé et un indigné, dit-il. J’ai vécu l’arrivée du PQ au pouvoir, les rêves d’indépendance portés par les chansonniers; c’était une époque grisante. Je suis un peu désillusionné maintenant, mais je suis resté à l’affût des enjeux et je me réjouis de voir une génération capable de réfléchir au social et au collectif, alors qu’on a longtemps crue cette génération individualiste et apathique. On se trompait royalement à son sujet.»
Nostalgique, Richard Fréchette? Un peu. « La vie était plus joyeuse dans les années 70 et on se laissait moins gagner par le cynisme. » Mais il trouve dans la forme de la revue annuelle un « espace génial de libération et de défoulement ». « Je pense que cet exercice est plus nécessaire que jamais, dans un monde politique sur lequel la majorité de la population n’a pas de prise. Je trouve ça beau aussi de revenir à cette tradition qui a été importante aux débuts du théâtre québécois – c’est comme ça qu’est notamment né le personnage de Tit-Coq. Se divertir en se débarrassant de l’année, en oubliant et en déridant les drames de l’année qui vient de se passer, c’est une chose que les Québécois ont toujours su faire brillamment sur scène. J’aime que notre revue puise aux sources de notre théâtre, et qu’elle soit en même temps au cœur d’une tendance contemporaine, d’un besoin réel dans le contexte politique actuel. »
Même si les textes de Philippe Lemieux ne réinventent pas le genre et misent beaucoup, comme la revue du Rideau Vert, sur des parodies d’émissions de télé qui deviennent prétexte à la critique sociale, on y remarque « un ton un peu plus critique et un tantinet plus d’acidité ». C’est en tout cas ce qu’on vous disait dans notre critique de l’édition 2014, un bon cru.
«Lemieux est un auteur mordant, pense Fréchette. Il dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Il a la liberté de le faire parce qu’il n’est pas enchaîné à une institution théâtrale de renom. J’aime sa liberté, j’aime son ton, notamment dans ses sketchs de nouvelles brèves qui commentent l’actualité en une ligne punchée. C’est un exercice extrêmement difficile qu’il réussit à merveille. »
Et le « politique » dans ce cabaret, où se trouve-t-il. « Partout », répond Fréchette, catégorique. Les spectacles de Lemieux sont en effet orientés plus fortement vers la critique du jeu politique et des agissements des chefs, tous partis confondus. « Politiquement, on sait que Philippe Lemieux est souverainiste. Mais ça ne l’empêche pas d’être assez piquant envers le PQ et je trouve ça honorable. Il n’a jamais épargné Pauline Marois, au même titre que les autres. Je suis content qu’un gars de sa génération ait cette indignation et ce désir de parler. C’est une génération née dans un culte de la réussite de soi, mais en fait cette génération n’a pas gardé seulement ce culte – ça a finalement donné une génération engagée. »
Au menu cette année, les couronnements de PKP et Justin Trudeau, évidemment, comme les frasques des ministres Barrette et Blais. Le spectacle tentera la délicate mission de parler aussi terrorisme, des attentats de Charlie Hebdo à ceux du Bataclan. Difficile d’en rire, certes, mais impossible de passer à côté. « Nietzsche disait, plus ou moins, que la première fois qu’un événement arrive, c’est une tragédie, et que la deuxième fois, c’est une comédie. Or, ce n’est pas vraiment le cas avec les tueries, les attentats, ou avec le thème de la mort en général. Il y a quelque chose d’irréversible dans ces événements qui nous invite à une certaine retenue. On essaie de composer avec ce thème avec délicatesse même s’il faut bien savoir en parler autrement que dans le registre tragique.»