Le long voyage de Pierre-Guy B : Déroute à l’unisson
Deuxième morceau d’une trilogie autofictionnelle sur le déracinement, Le long voyage de Pierre-Guy B. se tisse dans la même étoffe que Les trois exils de Christian E : un mélange d’anecdotes autobiographiques et d’agilité physique dans une forme théâtrale conviviale. Mais cette fois, tout en musique et en amitié, l’expérience gagne en profondeur.
Une certitude : la formule inventée par Christian Essiambre et par le metteur en scène Philippe Soldevilla cartonne au max. Accessibles et sympathiques, leurs spectacles autofictionnels attirent des publics nombreux et leur assurent d’impressionnantes tournées jusque dans l’Ouest canadien : une rareté. C’est le résultat d’une forme théâtrale joyeuse et sans prétention, qui mise sur le phénomène d’identification en racontant un parcours très personnel. Lequel touche, dans ses meilleurs moments, à des questions existentielles et identitaires universelles. Bien joué, même si cette autofiction, à notre avis, montre vite ses limites quand elle penche trop vers l’anecdote.
Essiambre était seul sur scène dans Les trois exils de Christian E., racontant ses démultiplications et déroutes entre McKendrick, Québec et Montréal. Acteur preste, au jeu physique plutôt virtuose, il n’a rien perdu de cette agilité dans Le long voyage de Pierre-Guy B., spectacle dans lequel il partage la scène avec son vieux pote Pierre-Guy Blanchard, percussionniste aux doigts magiques que l’on rencontre alors qu’il se réinstalle au Nouveau-Brunswick après des années de bourlingue. Particulièrement épris d’Istanbul et de ses folles nuits, le costaud musicien au tempérament imprévisible vit un moment sombre en prenant possession de la petite maison que ses parents ont achetée pour lui dans son village natal de Charlo.
Débarque Christian, l’ami d’adolescence devenu comédien et père de famille, sur le point de marier la femme de sa vie mais pris d’un vertige devant quelques constats d’échec. Son métier de comédien ne lui donne pas vraiment, comme il l’avait souhaité, d’occasions de changer le monde ou d’agiter les consciences. Et hop : Christian E. et Pierre-Guy B. vivent leurs crises de la trentaine à l’unisson, à la faveur d’une nuit acadienne, de quelques hallucinogènes et surtout de la musique transcendante ramenée d’Orient par l’ami voyageur. Alliage particulièrement habile de récits et de musique qui en souligne les contours et les rebondissements, la deuxième partie du spectacle propose des moments de théâtre très forts.
De la rencontre de ces deux personnalités musclées, à un moment-charnière de leur existence, émergent des questions puissantes et très justes, aptes à résonner fort chez tout humain occidental ayant vécu un ou des moments de passage, avec toute la désorientation que cela entraîne. La vie occidentale, consumériste et réglée par des horaires étouffant toute spontanéité, n’est-elle pas absurde? L’errance vécue jusqu’à l’extrême dans le hic et nunc, est-ce vraiment mieux? Entre ces deux extrêmes, il y a toute une toile de réflexions et de considérations que ces deux-là vont explorer, l’air de rien, en bons philosophes du dimanche, mais surtout par les voies d’une amitié sincère et honnête que les années n’ont pas enrayée.
S’effaçant peu à peu, Christian Essiambre laissera davantage de place à Pierre-Guy, lequel abordera des questions plus étonnantes mais peut-être encore plus intéressantes – son intérêt pour l’histoire de l’Acadie entraînera un questionnement sur la vie qu’il mène au regard de celle de ses ancêtres, qu’ils soient immédiats (le fantôme de son grand-père hante cette pièce de tout son long) ou lointains (jusqu’à évoquer la bataille de Restigouche). Pour le Québécois trop souvent ignare de l’histoire acadienne, ce n’est pas de refus.
Mais il aura fallu s’armer de patience avant que ce duo se déploie dans toute sa force : la pièce souffre d’un surplus d’anecdotes qui, souvent, semble mis en place pour le plaisir du jeu, dans une certaine complaisance. Excès de métamorphoses : Essiambre passe compulsivement de son propre rôle à celui de sa blonde, jouant des scènes banales qui n’ajoutent guère à l’ensemble. Même chose quand il personnifie à répétition la mère de Pierre-Guy. Trop, c’est comme pas assez, et la vraie substance, dans ce spectacle, réside dans la rencontre sincère entre les deux trentenaires. Le reste paraît souvent parasitaire.
L’humour est néanmoins au rendez-vous, bon enfant et souvent savoureux, dans sa nostalgie de l’adolescence et d’une Acadie un peu fantasmatique.