Festival Temps d’images : Pauline Simon danse avec Google
La danseuse et chorégraphe française Pauline Simon est l’une des artistes qui ouvre ce soir le festival Temps d’images à l’Usine C, avec sa danse nourrie d’aléatoire par le système de prédictions de Google. Rencontre.
« J’ai l’immense plaisir de », écrit doucement Pauline Simon sur son clavier. Google s’empresse de lui suggérer la suite, faisant valser les mots « inviter » ou « annoncer », l’un après l’autre sans réelle hiérarchie. Dans le spectacle Sérendipité, elle fait du système de prédiction de Google son partenaire de danse, lui soufflant des phrases pour mieux le laisser les compléter, avant de les traduire dans une danse hachurée qui meuble l’espace par tâtonnements. Réflexion sur les nouveaux paramètres de la recherche et de l’acquisition du savoir, désormais dominée par les codes de l’intertextualité du web, le spectacle pose un œil critique sur Google mais y cherche aussi un espace de poésie.
Formée en danse contemporaine dans différents conservatoires, Pauline Simon s’intéresse avant tout au langage, ou à la question de la « traduction », de la « conversion » ou de la « médiation ». Dans sa première pièce, Exploit, elle dansait sur fond de commentaire sportif et questionnait les principes qui régissent l’événement sportif et l’organisation du stade. Pareil ici : en cherchant le reflet de l’humain sur un moteur de recherche, elle questionne le collectif. Butinant sur le web des indices de notre rapport aux mots et à l’information, elle tisse une toile de probabilités.
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Elle a nommé ce spectacle Sérendipité pour évoquer les heureux accidents du chercheur faisant une découverte inattendue au détour d’une pensée ou d’une expérimentation. Comme le fait le surfeur du web au bout de quelques clics – on appelle cela la « sérendipité numérique ». « Mais la sérendipité, précise-t-elle, ne tombe pas du ciel. Elle se produit quand il y a déjà une disposition mentale à la recherche. J’essaie de cultiver dans mon spectacle cet état d’esprit, qui est de toute façon naturel à la danse. C’est un spectacle intimiste qui se nourrit aussi d’un processus d’échange avec le spectateur et avec l’environnement. Il y a une dimension aléatoire, des choses qui se décident en fonction du moment. »
Sur le web, le contenu se déploie d’abord en fonction de sa popularité et de son inscription dans une architecture d’autres contenus populaires, abondamment cliqués. Fini le règne de la classification du savoir ou de la culture à partir de critères intellectuels. Pauline Simon s’inquiète bien sûr de cette « consanguinité de l’information », mais elle voit somme toute d’un bon œil la variété des formes auxquelles le web nous expose. « J’essaie d’en capter la poésie, de voir la beauté dans notre capacité à faire des liens entre texte, images et vidéo. On le fait sans trop s’en rendre compte, parfois. »
« Ce qui est aussi intéressant avec l’utilisation de Google, c’est que les résultats changent selon la localisation de l’internaute. Dans différentes régions de la France, par exemple, les propositions de Google changent beaucoup et la syntaxe n’est pas toujours la même – il y a une dimension vernaculaire. C’est intéressant, ce que ça nous raconte sur les mutations du rapport à l’information – il peut y avoir perte d’une forme d’universel. Je ne dis pas que c’est mal, j’essaie juste de mettre en relief et de questionner. »
Traduisant et convertissant les répliques de Google en matière gestuelle, la danseuse en offre une nouvelle version par le langage du corps. « Ça donne un langage gestuel développé de manière accidentée, comme l’est la recherche et la sérendipité. Un langage de la rupture et de l’assemblage de différents matériaux par patchwork, en quelque sorte. On peut sans doute sentir dans la danse l’idée d’un exercice algébrique, d’un jeu de probabilités, d’une forme de mathématique corporelle. »
De la belle visite.
Jusqu’au 13 février à l’Usine C, à 18 h et 19 h 30
Cap sur le festival Temps d’images
Jusqu’au 21 février, l’Usine C propose la version montréalaise de Temps d’images, un festival itinérant qui visite plusieurs villes d’Europe et se déballe dans sa version montréalaise tous les deux ans. Art numérique, propositions interactives, choc des corps et du virtuel, arts emmêlés de l’écran et de la scène : le festival est plus modeste dans sa version montréalaise que parisienne mais réussit toujours à rassembler la crème des artistes sachant manier les technologies.
Au menu, en plus de la nano-danse de Jaco Van Dormael et Michèle Anne de Mey dont nous vous reparelerons sous peu (Cold Blood), l’édition 2016 nous amène la pièce new yorkaise Relative collider, un jeu de pieds, de bras et de mains réglé au quart de tour, dans une danse simple mais très techniquement sophistiquée, réglée par les coups du métronome.
Notre attention se portera aussi sur le Tokyoïte Hiroaki Umeda, « chorégraphe et ancien B-boy qui est un acteur majeur dans l’exploration des liens entre danse et arts numériques ». Son spectacle Intensional particle est présenté du 18 au 20 février.