Dénommé Gospodin : Vivre en marge
Scène

Dénommé Gospodin : Vivre en marge

S’exclure du système sans s’isoler en forêt, c’est possible? Le personnage incarné par Steve Laplante dans Dénommé Gospodin, de l’Allemand Philipp Löhle, tente le coup. Avec un succès mitigé.

Jeune auteur allemand dont le nom est de plus en plus vu sur les marquises des théâtres européens, Philipp Löhle écrit un théâtre tiraillé entre la comédie incisive et le théâtre-récit, cultivant une vague distance avec ses sujets. Ses personnages, ici un homme exaspéré du capitalisme et son entourage cupide, ne sont pas particulièrement subtils ou nuancés. Pas grave, quand on sait les tirer vers leurs penchants grotesques et mettre en lumière l’ironie tranchante de leurs dialogues. Hélas, la mise en scène de Charles Dauphinais au Théâtre de Quat’sous cherche son ton et révèle ce texte de manière un peu plus sentencieuse que nécessaire, le faisant pencher vers une gravité et un lyrisme qui ne lui correspondent pas vraiment.

Qui est donc est ce Gospodin, drôle de bougre qui se dépouille peu à peu de tout ce qu’il a pour tenter un mode de vie alternatif, hors du capitalisme, recourant à l’archaïque idée du troc? On ne sait rien de son passé, hormis le fait qu’il avait réussi à vivre une vie en accord avec ses principes en possédant un lama duquel il tirait subsistance et que Greenpeace lui a dérobé. Pas possible d’élever un lama en territoire urbain, a tranché l’organisme. Commence alors pour Gospodin une quête de libération : il veut vivre hors de la folie du consumérisme et videra peu à peu son appartement. Pas de chance, il se retrouve avec une liasse de billets que son entourage, peu à peu, tentera de lui dérober.

Bruno Marcil, Steve Laplante et Marie-Eve Pelletier dans Dénommé Gospodin / Crédit: Yanick MacDonald
Bruno Marcil, Steve Laplante et Marie-Eve Pelletier dans Dénommé Gospodin / Crédit: Yanick MacDonald

Chacun le poursuit et le supplie, tentant de se sortir de sa propre misère : une allégorie d’un système financier qui nous tient en laisse et nous affaiblit devant le pouvoir de l’argent, condensé entre quelques mains. L’ironie est qu’elle est ici détenue par celui qui la désire le moins. Qui, de toute façon, a besoin d’autant d’argent? C’est l’une des questions que lance ce texte en recourant à l’image de ce tas d’argent entreposé là sans qu’il ne circule et ne soulage la misère du monde.

En quittant le système, Gospodin arrive paradoxalement à montrer comment ce système fonctionne  et à le dérégler en quelque sorte. Löhle y arrive par une écriture de comédie, par des ressorts comiques réels, même si l’histoire et le destin de son personnage sont tragiques et que l’écriture flirte aussi avec les motifs de la tragédie antique. Une tragi-comédie que la direction d’acteurs s’approprie ici difficilement. Autour de Gospodin, les personnages sont archétypés et incarnés légèrement, la langue un peu tirée (notamment Bruno Marcil dans de nombreux rôles secondaires). Mais quand l’intrigue se recentre sur le protagoniste principal, le ton est plus affecté et plus cérémonieux (trop), de sorte que la quête de Gospodin nous parvient auréolée d’une morale à deux balles qui risque de nous épuiser. Le défi, il faut le dire, était grand avec ce texte écartelé entre deux extrémités.

Steve Laplante et Marie-Eve Pelletier dans Dénommé Gospodin / Crédit: Yanick MacDonald
Steve Laplante et Marie-Eve Pelletier dans Dénommé Gospodin / Crédit: Yanick MacDonald

Löhle mélange spiritualité et comédie, questions existentielles et badinage, vive colère et douce ironie. Il le fait notamment par des narrations en aparté, dans une forme de théâtre-récit très cher aux auteurs allemands contemporains. L’histoire de Gospodin est ainsi racontée comme si elle avait déjà eu lieu et comme si le système capitaliste pourfendu était une chose du passé, une ruine, une relique. Le procédé crée une distance ironique, inventant un monde lucide dans lequel on peut raconter, sourire en coin, la tragédie d’un capitalisme qui est heureusement histoire du passé. Intéressante formule, même si, encore une fois, la charge tragique et la charge comique de ces allers-retours narratifs ne sont pas toujours bien clarifiés.

Les acteurs Marie-Eve Pelletier et Bruno Marcil s’y prêtent avec beaucoup d’énergie.

Jusqu’au 19 février au Théâtre de Quat’sous