Animaux : Apprivoiser le chien et le grillon
Scène

Animaux : Apprivoiser le chien et le grillon

Vache, cheval, poules, cochon, chat, chien, colonie de grillons et autres: Espace Libre accueille une bande d’acteurs inusités pour Animaux, création commune d’Alexis Martin et Daniel Brière du Nouveau Théâtre Expérimental. Entrevue.

«On nous dit dans les écoles de théâtre de ne pas jouer pas avec des enfants et des animaux parce qu’on va nous voler la vedette, raconte Daniel Brière. Donc on fait exactement ce qu’il ne faut pas faire».

L’idée de voir des comédiens partager la scène avec des animaux domestiqués et habitués à la présence humaine est née de la trilogie L’Histoire révélée du Canada-français 1608-1998, présentée en 2014, où un chien faisait partie de la distribution. «J’étais fasciné par la présence du chien sur scène. C’est quand même fascinant l’état de jeu extraordinaire des animaux et l’état dans lequel ils sont. Très peu d’acteurs peuvent être aussi présents qu’un animal qui, pourtant, n’est pas conscient et ne sait pas qu’il est en représentation. Ça me fascinait et je trouvais que ça pouvait être une expérimentation très intéressante de mettre sur une même scène des humains et des animaux».

Le Nouveau Théâtre Expérimental, mis sur pied en 1974 par Pol Pelletier, Jean-Pierre Ronfard et Robert Gravel s’est donné pour mandat d’inventer de nouvelles pratiques théâtrales en invitant différents artistes à se joindre à eux. Alexis Martin en assura la direction artistique dès 1999, quelques années avant que son collègue Daniel Brière se joigne à lui, en 2003. C’est entre 2004 et 2010 qu’ils assureront ensemble la responsabilité artistique des productions de la compagnie, tout en poursuivant leur collaboration jusqu’à ce jour. Avec Animaux, naissant de l’envie de Brière de voir des animaux sur scène et prenant forme avec la plume d’Alexis Martin, ce nouveau spectacle s’inscrit dans la mission du NTE, grâce entre autres à cette surprenante cohabitation scénique. «On s’est mis à lire sur le sujet, et Alexis a beaucoup lu les philosophes, lu tout ce qui était écrit par rapport à notre relation avec les animaux, à ce qui nous différencie ou nous rapproche d’eux. À cette fine ligne, au fond, que l’humain a souvent dépassée envers les animaux et qui fait qu’ils sont devenus des choses à notre service».

L’humain et l’animal vont s’apprivoiser l’un et l’autre dans un environnement qui ne cherche pas à bousculer les deux espèces, bien que l’enchaînement des répétitions est déstabilisant. «Il faut accepter l’aléatoire, et accepter que le spectacle c’est aussi ça. C’est aussi l’observation des animaux qui ont une présence fabuleuse mais qui ne sont pas dans le même univers que nous et ça, c’est très intéressant».

Le spectacle présentera des moments plus poétiques grâce à différents modes narratifs. «C’est une rencontre, je dirais, assez simple; on ne va pas provoquer les animaux comme dans un cirque où on leur fait faire des choses extraordinaires. On est dans une sorte de quotidien où on prend soin de animaux. On les convoque, ils sont avec nous sur scène, on s’occupe d’eux, mais ce texte-là, philosophique, poétique, qui traverse tout le spectacle, vient faire contrepoint parce qu’il n’est pas naturaliste. On ne fait pas non plus dans le psychologique. Il y a donc ces deux pôles-là qui définissent le spectacle».

Anne Dorval et Pierre Lebeau assureront la narration, tandis que Sophie Cadieux et Hubert Proulx seront sur scène avec les animaux. Même s’ils ont accepté le projet avec enthousiasme, les comédiens se sont retrouvés dans une zone quelque peu inconfortable, qui mélange le travail précis de mise en scène avec les réactions imprévues des animaux qui réagiront sans doute aux différentes dynamiques du public d’une représentation à l’autre.

Les représentations sont de jour, afin de respecter le cycle de vie des animaux, tout en donnant l’occasion au public de déguster un repas (végétarien!) lors du spectacle. Une occasion de prendre part à une réflexion sur nos modes de vie et nos attitudes face au monde que nous dirigeons. «Ça nous amène au fond à un enjeu, car je pense qu’on a dépassé les limites avec les animaux, l’écologie, la planète et la chaîne alimentaire. Je crois que c’est ça le grand défi à venir aussi: comment l’Homme, qui s’est permis de traiter les animaux comme des sous-humains, comme une sous-classe, comme il l’a fait à peu près avec les noirs, les femmes, les juifs et bien d’autres, a maintenant énormément de chemin à faire. Il faut prendre soin de notre planète et des êtres vivants qui sont là. Mais la pièce n’est pas un pamphlet; on va réfléchir à ça ensemble, et ce sera rigolo, aussi».

Du 3 au 20 mars à l’Espace Libre

Du jeudi au dimanche, en matinée