Ça ira (1) Fin de Louis : Politique-spectacle
Une visite de Joël Pommerat, ça vaut absolument un détour à Ottawa, qui le reçoit en exclusivité canadienne ces jours-ci. Ça ira (1) Fin de Louis, son amibitieux spectacle sur la Révolution française, offre presque 5 heures de théâtre politique captivant et fécond.
Pour ce grand spectacle aux hautes ambitions intellectuelles, Joël Pommerat a délaissé un peu son travail sophistiqué de sons et d’ambiances cinématographiques pour cultiver une forme plus directe. Il fallait se mettre au service de la pensée, en allant droit au but dans une forme scénique frontale, axée sur la parole et sur son mouvement dans l’agora, sur sa résonance dans la cité, dans la foule. Pas de savants clairs-obscurs et d’ellipses faisant mystérieusement apparaître et disparaître des personnages écorchés, ceux auxquels Pommerat nous a délicieusement habitués.
Mais ce spectacle hautement politique, qui expose le choc des idées de manière aussi limpide qu’inspirée, n’en est pas moins formellement stimulant, transformant le théâtre en assemblée nationale où les débats et les escarmouches seront entendues dans toute leur puissance et dans une vérité foudroyante. La disposition des sièges en hémicycle du Centre national des arts correspond d’ailleurs particulièrement bien à cette joute orale de plus en plus démocratique, dans laquelle le public se voit discrètement impliqué à mesure que les acteurs vont et viennent entre la scène et la salle. C’est un huis-clos politique, mais puisque dehors la France manifeste et que l’armée parfois oppresse, Pommerat fait entendre le tumulte des rues par une trame sonore percutante autant que par l’apparition de messagers venus témoigner de l’agitation parisienne. Un procédé de tragédie antique qui ajoute à la partition une bonne dose de tension dramatique.
Nous sommes donc à l’aube de la Révolution Française. Louis XVI, ici dépeint comme un roi en quête d’autorité mais plutôt humaniste, ouvert aux changements ambiants et un peu dépassé par les événements, va bientôt assister à la rébellion du tiers-état, en quête d’une meilleure représentativité devant la noblesse et le clergé. Le spectacle le place graduellement à l’arrière-plan pour laisser s’exprimer les députés réunis aux États généraux puis au sein de ce qui est devenu l’Assemble nationale. La monarchie absolue va bientôt être histoire du passé.
Mais Louis le Dernier est le seul personnage historique clairement représenté dans ce spectacle qui a l’intelligence d’éviter la reconstitution historique muséale et poussiéreuse pour s’ancrer avant tout dans la pensée. Si les débats d’idée mis en scène par Pommerat sont si puissants, c’est qu’ils semblent se dérouler dans un présent vigoureux même si le contexte général de la Révolution française est préservé. Une sorte de « passé-présent », comme le dit lui-même le metteur en scène : il faut avouer qu’il n’y a pas d’expression plus juste pour décrire ce théâtre historique qui vibre puissamment dans l’instant présent. Ni actualisation ni réelle distanciation: Pommerat se situe quelque part entre les deux. Et ce n’est pas du tout vertigineux. Grâce à une orchestration minutieuse du plateau fourmillant (il y près de 35 comédiens dans ce spectacle imposant) et à une direction d’acteur précise et énergique, sa posture à cheval entre deux temporalités nous parvient de façon hyper-naturelle.
Les droits de l’homme doivent-ils s’accompagner de devoirs? Comment faire naître une société vraiment égalitaire, en termes économiques comme à l’échelle des droits humains? La démocratie, cette utopie, et les débats d’idées souvent philosophiques, peuvent-ils vraiment exister quand, dehors, les gens ne font que souffrir et s’user? Voilà quelques-unes des grandes questions que pose ce spectacle et auxquelles il répond par l’affrontement des perspectives et des regards. Des joutes orales de haut niveau, qui demeurent pourtant accessibles, livrés dans une langue qui va droit au but, sans fards et sans jargon. Impossible de ne pas s’y laisser prendre et de ne pas entamer avec soi-même un débat incessant.
À sa manière, plus française et donc nécessairement plus verbeuse, ce spectacle s’inscrit dans la filiation des inoubliables Tragédies romaines d’Ivo Van Hove et dans une tendance actuelle au long et captivant spectacle politique campant les débats politiques d’antan dans un présent auquel il fait écho de manière saisissante. À Montréal, on a eu droit plus tôt cette saison à la saga shakespearienne Five kings, par Olivier Kemeid, Patrice Dubois et Frédéric Dubois – un spectacle bien différent de Ça ira mais qui poursuit finalement les mêmes buts. Cette conjoncture est tout à fait réjouissante. Sachons en profiter.