L'orangeraie : Le droit d'en parler
Scène

L’orangeraie : Le droit d’en parler

Bardé de prix et remarqué pour son humanisme et sa sobriété, le plus récent roman de Larry Tremblay est adapté au théâtre dans une mise en scène de son complice de longue date Claude Poissant. À pas de souris, nous sommes allés espionner la salle de répétition où se construit doucement L’orangeraie.

«T’es le meilleur metteur en scène de l’est de Montréal», lance, moqueur, le comédien Vincent-Guillaume Otis à son metteur en scène quand soudain surgit un doute, au détour d’une directive. Claude Poissant a pourtant l’habitude de dompter l’écriture de Larry Tremblay et ses personnages à l’identité malmenée. Mais cette fois, il doit composer avec un nouveau pan de son travail. Depuis Cantate de guerre, Tremblay se donne le droit de parler de guerres qui agitent quelques contrées lointaines. Il donne un visage humain et sobre à ces guerres qui déchirent les familles et déshumanisent les hommes, dépeignant une enfance que ce monde ne sait pas épargner de sa violence.

Les comédiens Vincent-Guillaume Otis et Gabriel Cloutier-Tremblay dirigés par Claude Poissant / Crédit: Antoine Bordeleau
Les comédiens Vincent-Guillaume Otis et Gabriel Cloutier-Tremblay dirigés par Claude Poissant / Crédit: Antoine Bordeleau

Dans la salle de répétition, le dialogue entre Mikaël, un jeune prof de théâtre joué par Otis, et Aziz (Gabriel Cloutier-Tremblay), un jeune homme ayant jadis vécu le pire, pousse le metteur en scène dans une zone floue, coincé entre le réalisme nécessaire d’une salle de cours montréalaise et la nécessité de porter un «récit habité et douloureux». «Il faut éviter la tirade, tranche Poissant. Mais il faut trouver tout de même un certain souffle.»

L’orangeraie, un roman et maintenant une pièce de théâtre en deux temps, raconte les jours tristes que les jumeaux Amed et Aziz ont passés près de l’orangeraie familiale où leurs grands-parents furent tués par une bombe, puis les tiraillements d’Aziz au moment de jouer au théâtre un rôle apparenté, des années plus tard. Ce personnage qui a perdu ses grands-parents puis son frère dans une guerre injuste peut-il vraiment tout raconter? Son histoire peut-elle être comprise par un Occidental ayant mené une vie sans histoire? Et jusqu’où? Ce sont les questions qui surgissent, emmêlées dans les voix de Poissant et de ses comédiens par un matin frisquet dans l’est de Montréal.

Larry Tremblay /  Crédit: Bernard Préfontaine
Larry Tremblay / Crédit: Bernard Préfontaine

«Dans Cantate de guerre, dit Larry Tremblay, je commençais une réflexion sur la transmission de la haine, sur les enfances volées par la guerre et sur les enfances trop rapidement transformées pour se mettre au service de la haine. Mais pendant toute la création de cette pièce, je me suis posé des questions sur ma légitimité à raconter des guerres que je n’ai pas vécues et qui ne me concernent pas a priori. Il faut un certain courage pour le faire; on peut se dire qu’on n’a pas les compétences, que notre regard n’est pas assez ancré dans le vécu, qu’il peut être maladroit de raconter une horreur dont on ne sait finalement rien. J’ai eu besoin d’écrire L’orangeraie pour poser directement ces questions; elles sont énoncées par le personnage du professeur d’art dramatique, qui est un peu mon alter ego.»

L’auteur, qui s’est finalement donné le droit de parler, souligne aussi que le Québec a fait beaucoup de chemin ces dernières années à cet égard. D’un théâtre de cuisine qui n’osait pas parler du monde autrement que par les voies de l’intimité, il est passé à un théâtre politique souvent courageux, qui pose son regard sur les conflits du monde entier et qui raconte le Moyen-Orient comme l’Amérique. De Wajdi Mouawad à Philippe Ducros en passant par Olivier Kemeid et Carole Fréchette, notre dramaturgie a effectivement ouvert ses yeux et ses oreilles vers le lointain. «Je crois que, dans un contexte de globalisation, tout ce qui se passe ailleurs a des répercussions chez nous. Un écrivain doit en tenir compte. Il est impossible, désormais, d’ignorer le grand contexte et de ne pas en prendre acte dans notre analyse de l’humanité, de la société.»

Crédit: Antoine Bordeleau
Crédit: Antoine Bordeleau

Larry Tremblay le fait avec une écriture très sobre, à vrai dire simple, mais de laquelle émerge tout de même un certain lyrisme, une poésie franche. Peut-être est-ce dû à sa capacité à évoquer, en n’en racontant que quelques-unes, les horreurs de toutes les guerres et les douleurs de toutes ses victimes. Sans jamais pourtant s’y complaire. «La plupart de ces guerres, dit-il, sont motivées par des haines ancestrales et par la vengeance. Ce sont souvent des conflits autour de morceaux de terre et d’idéologies religieuses. Je n’invente rien. L’orangeraie ressemble d’ailleurs à une tragédie grecque. C’est arrivé comme ça. Je n’ai pas pu faire autrement. »

Une tragédie, certes, mais avec beaucoup de lumière au bout du tunnel.

Crédit: Antoine Bordeleau
Crédit: Antoine Bordeleau

Au Théâtre Denise-Pelletier (Montréal), du 23 mars au 21 avril 2016

Au Trident (Québec), du 26 avril au 21 mai 2016