Solitudes solo : Sans intention sexuelle
Coupé de Québec pendant 34 ans, alors qu’il cartonnait en Europe et au Moyen-Orient, le Montréalais Daniel Léveillé débarque dans la capitale pour un «come-back» surréaliste.
Il n’est pas amer, Daniel Léveillé, il choisit la joie et le rire teinté de jaune pour célébrer sa réhabilitation improbable, cet accueil qu’il n’espère même plus dans une ville en guéguerre – c’est le mot qu’il utilise – avec sa métropole. Pour toute une génération d’aficionados de la danse, Léveillé est un pur inconnu: son dernier passage remonte à 1982 au Festival d’été de Québec. «J’ai l’impression que je me suis coupé de cet accès-là à cause de la nudité. Ce n’est pas une impression, je crois bien que c’est la réalité, aussi pour les tournées au Québec. […] Je n’ai jamais compris cette frilosité et j’en ai souvent parlé aux diffuseurs.»
C’est après avoir abandonné ses études en architecture que ce natif de Sainte-Rosalie, petite ville aujourd’hui fusionnée à Saint-Hyacinthe, découvre la danse contemporaine par l’entremise des écoles du Groupe Nouvelle Aire et de la compagnie Entre-Six. Un an plus tard, soit en 1978, l’apprenti interprète se tourne vers la création et dirigera Louise Lecavalier (alors émergente) dans sa première pièce intitulée Le bas rouge de Béatrice.
Solitudes solo, lauréate du Prix de la meilleure œuvre chorégraphe 2012-2013 du Conseil des arts du Québec, fait justement écho à cette période faste, initiatique même. «Consciemment, j’ai essayé de revisiter la danse que j’ai connue quand j’ai commencé à en faire, donc au milieu des années 1970. Y a des espèces de clins d’œil aux techniques qu’on utilisait à ce moment-là et qui ne sont plus utilisées du tout aujourd’hui, comme la technique limon entre autres.» Un retour aux sources, d’une certaine manière, mais pas un copier-coller parce que les mouvements de l’époque ont, garantit-il, été revisités.
Au-delà des bobettes
On reconnaît la signature de Léveillé à la théâtralité de ses œuvres, à cette quête de pureté dans la scénographie quasi inexistante et axée sur le plancher gris perle qui fait rebondir la lumière sur les corps blafards des interprètes. Cette fois encore, il opte pour un compositeur classique, pour Bach en fait. «C’est un peu comme faire manger des brocolis à des enfants. La musique, ça devient comme une sauce qui permet de faire passer, peut-être, des ingrédients qui seraient un petit peu difficiles à avaler.»
Solitudes Solo marque néanmoins le commencement d’un nouveau cycle de création pour cet artiste de 63 ans inconfortable dans ses pantoufles. «C’est tentant, surtout depuis le début des années 2000 parce que j’ai eu un certain succès international, de me répéter, d’essayer de faire ce que je crois que les gens vont aimer… Mais si on tombe dans ce piège-là, la création s’épuise! Alors, c’est une sorte de défi, et pour le relever, je me suis dit que la meilleure façon d’y arriver ce serait d’attaquer la forme solo parce qu’il n’y a pas d’échappatoire possible.» Avec un seul danseur sur scène, le chorégraphe doit composer avec un espace vide, l’obligeant à «aller à l’essentiel».
L’érotisme et le voyeurisme, concepts indissociables de la danse de Léveillé, sont cette fois relayés au deuxième plan, notamment parce que ses interprètes sont vêtus de sous-vêtements. «Ce sera toujours présent dans mon travail parce que ce que je travaille le plus, c’est le corps. Le corps, en plus, d’assez jeunes adultes entraînés en danse, donc des corps relativement en forme et beaux.» Pour lui, la peau sans vêtement est surtout une démonstration de la vulnérabilité. «À l’inverse de ce que l’on pourrait croire, [les spectacles avec nudité] étaient certainement les moins sexuels que j’ai faits. […] Ça change la nature des pièces qu’on présente. Celles qui pourraient être naturellement sexy deviennent extrêmement fragiles et sensibles.»
Le propos de la pièce, de toute façon – et le titre l’indique –, c’est la solitude. Un thème récurrent, à la mode même, que Daniel Léveillé aborde différemment de ses contemporains, avec sérénité et optimisme. Avec une certaine maturité aussi. «Quand on vieillit, il y a un phénomène assez étonnant qui se passe: les hormones se calment. C’est un bonheur absolu! […] Le fait de ne pas avoir cette pression-là de faire des bébés, c’est vraiment extraordinaire. C’est la pulsion sexuelle qui fait qu’on est des êtres sociaux, sinon on n’aurait pas besoin des autres.»
Les 30 et 31 mars à la Salle Multi de Méduse
(Une présentation de La Rotonde)