Lettres d'amour : L'amour sous la pluie
Scène

Lettres d’amour : L’amour sous la pluie

Metteur en scène français de plus en plus habitué de la scène d’Espace GO, David Bobée crée à Montréal avec Macha Limonchik, Dear Criminals et Evelyne de la Chenelière un spectacle d’amour et d’orage.

Ça s’intitule Les lettres d’amour. Au pluriel. Parce que dans la même lettre rédigée par une femme en deuil d’amour se cachent d’autres lettres. Des ébauches cent fois remises sur le métier. Mais aussi les lettres d’Ariane à Thésée, de Phèdre à Hippolyte, de Pénélope à Ulysse. Les mots d’Evelyne de la Chenelière et ceux d’Ovide se croisent dans un même souffle, évoquant la même brûlure. «Dans un moment de douleur amoureuse d’une extrême intensité, explique le metteur en scène David Bobée, cette femme qui écrit ressent le besoin de faire appel à des figures plus grandes qu’elle, plus grandes que nature: de quoi faire écho à sa tragédie en recourant aux tragédies ancestrales et aux grandes figures mythologiques que sont Didon, Ariane, Phèdre ou Pénélope.»

Macha Limonchick et Anthony Weiss / Crédit: Antoine Bordeleau
Macha Limonchick et Anthony Weiss / Crédit: Antoine Bordeleau

Les Montréalais connaissent peu l’inclination de Bobée pour les textes classiques. Chez nous, il a présenté Cannibales, une pièce interdisciplinaire sur un couple s’immolant pour fuir un vide existentiel profond. On a vu aussi Warm, pièce circassienne érotisante, pour ne pas dire torride. Dans les deux cas, la langue fut frontale et hyper actuelle. Mais il a aussi monté Lucrèce Borgia, succès sur les scènes françaises en raison de la liberté avec laquelle il s’est approprié Victor Hugo et, aussi, il faut le dire, en raison de son actrice vedette Béatrice Dalle, qui devait également briller dans ces Lettres d’amour mais s’est retirée pour cause de maladie. Il s’est également frotté à Shakespeare, sachant faire parler Hamlet au présent.

Et c’est bien ce qu’Evelyne de la Chenelière et lui s’apprêtent à faire avec Ovide dans un dispositif scénique bifrontal où Macha Limonchik et l’acrobate Anthony Weiss joueront le couple brisé sous différentes lumières et projections, et surtout sous une pluie orageuse et des vents forts. «C’est une chambre à coucher dans laquelle il pleut», nous dit Bobée en nous faisant visiter le décor en construction. «Un endroit d’intimité profonde, soudain frappé par l’orage, pour symboliser le choc et la violence de l’abandon.»

Crédit: Antoine Bordeleau
Crédit: Antoine Bordeleau

Cette violence, c’est aussi celle d’Ovide quand il fait parler Ariane ou Pénélope. Au cœur d’un monde mythologique qui donne à voir les hauts faits des guerriers et des dieux, Ovide s’intéresse à la parole des femmes. «C’est incroyable d’avoir accès aux lettres que ces femmes écrivent à leurs hommes partis au loin, héros mais aussi salauds. Quand Ariane est abandonnée par Thésée, c’est une femme forte et en colère qui prend parole. En parallèle de cette parole antique se déploie celle, contemporaine, d’Evelyne. Ses textes sont d’une finesse incroyable. Il y a dans son écriture la notion d’absence, qui est très féconde. Le couple de notre pièce est une impossibilité parce qu’au fond, c’est une femme qui s’adresse à un corps absent, à une abstraction, à un homme aimé qui n’est pas vraiment là et qui prend différents visages. Elle lui fait jouer le rôle qu’elle veut, elle scénarise leur relation. L’amour, c’est aussi beaucoup faire de l’autre une création de notre esprit. L’acrobate Anthony Weiss va donc incarner sur ses sangles aériennes cet homme dans un jeu de métamorphoses. Il va vivre à travers les yeux et la pensée de cette femme.»

Sur scène, le groupe électro-folk Dear Criminals accompagne les mots et le mouvement en textures mélancoliques et romantiques. Une aventure musicale et théâtrale hors-norme pour ce band chouchou de la scène montréalaise.

Le groupe Dear Criminals entoure l'auteure Evelyne de la Chenelière, la comédienne Macha Limonchick et le metteur en scène David Bobee / Crédit: Antoine Bordeleau
Le groupe Dear Criminals entoure l’auteure Evelyne de la Chenelière, la comédienne Macha Limonchick et le metteur en scène David Bobee / Crédit: Antoine Bordeleau

À l’Espace Go du 12 avril au 7 mai