Monumental : Sortir des limbes
Scène

Monumental : Sortir des limbes

Danse contemporaine athlétique et postrock tonitruant se conjuguent avec Monumental, l’événement scène incontesté du printemps, une collaboration renouvelée entre Dana Gingras et Godspeed You! Black Emperor. 

Elle est de Vancouver, ils sont de Montréal, mais c’est un type d’Australie qui a réanimé ce spectacle mis sur respirateur artificiel il y a 10 ans. Sans David Sefton du Adelaide Festival et l’entêtement de Dana Gingras, cette deuxième mouture n’aurait probablement jamais vu la lumière du jour. «La conversation, pour potentiellement remonter ce show, a démarré il y a cinq ans, quand le groupe s’est reformé et qu’il a recommencé à faire des tournées. Ç’a été un processus très long, pour concrétiser le projet, trouver les bons diffuseurs, tout ça. Toutes les pièces du puzzle devaient s’assembler pour rendre le tout possible.»

C’est de notoriété publique: ne capture pas les membres de Godspeed You! Black Emperor qui veut. Mystérieux, parfois même intransigeants, les huit musiciens de la formation culte ne sont pas faciles à convaincre – à commencer pour les entrevues avec la presse. Or Dana Gingras et son collègue Noam Gagnon réussissent un tour de force en les entraînant dans leurs filets à une deuxième reprise. D’autant plus que, cette fois-ci, ce ne sera pas des bandes enregistrées: le groupe a composé quelques pièces généreusement percussives sur mesure pour le spectacle, en plus de profiter de l’occasion pour étrenner quelques compositions non encore endisquées. Une trame sonore qui s’agence à merveille avec la chorégraphie brute et militaire en phase avec la gestuelle physiquement exigeante que Dana raffine depuis plus de 20 ans. «J’ai toujours été intéressée par les limites du corps humain parce que, lorsqu’on les atteint, les craques et les ruptures qui émergent nous laissent voir la personne derrière le danseur. Les interprètes se cachent derrière un genre de masque, mais la danse, la corvée physique et l’intensité du travail que ça demande exposent les individus.»

Crédit: Yannick Grandmont
Crédit: Yannick Grandmont

J’ai toujours été intéressée par les limites du corps humain parce que, lorsqu’on les atteint, les craques et les ruptures qui émergent nous laissent voir la personne derrière le danseur.

Comme en 1984

Monumental est une critique du monde du travail, de la culture postcapitaliste, de l’obsession des hommes pour le pouvoir et la richesse. Un état de psychose collective qui affecte Dana Gingras, l’effraie, la torture. «[La pièce] soulève la question suivante: combien faut-il en faire pour en faire assez? Cette idée de toujours vouloir plus, plus gros et mieux, ça commande nos vies. Le fait de constamment se pousser en avant, c’est une illusion. Où est-ce qu’on s’en va quand on avance comme ça, sans raison?»

La scénographie est aussi lourde de symboles avec ses 11 blocs blancs (un pour chaque interprète, deux en surplus) qui réfèrent aux cubicules étouffants des fonctionnaires ou à ces minuscules condos nichés au sommet des hautes et nouvelles tours vancouvéroises. «Ça devient presque insupportable [à regarder]! Premièrement, parce qu’ils sont isolés, il y a cette restriction imposée de rester sur leur boîte. Deuxièmement, ils ont un espace personnel très limité et il y a aussi un risque: ils peuvent réellement tomber en bas de leur bloc! Ils ont aussi la lumière qui les éblouit. Quand ils descendent des podiums, le spectateur n’en peut déjà plus.» Des thèmes qui évoquent évidemment 1984, le classique de George Orwell. «Il était tellement en avance sur son temps avec son livre. […] Tous nos mouvements peuvent être traqués, idem pour nos conversations. On vit assurément à une époque où on a l’illusion d’être libres, et sur plusieurs plans.»

L’amie des musiciens

Dana Gingras n’en est (vraiment) pas à ses premières armes comme chorégraphe – et il en va de même pour ses collaborations avec des poids lourds de l’indie rock.

Il y a aussi eu Circa, sa pièce transposée en téléfilm par Bernar Hébert qu’elle avait créée avec son acolyte de toujours Noam Gagnon et en collégialité avec l’inclassable trio britannique The Tiger Lillies.

Puis c’est elle qui, notamment, a fait danser la belle Régine Chassagne dans le vidéoclip de Sprawl II (Mountains Beyond Mountains), un extrait de The Suburbs et un petit film d’art en soi.

Pour la suite, elle planche sur une nouvelle pièce d’envergure pour un grand groupe de danseurs. «Je veux, bien sûr, que ce soit une collaboration avec des musiciens. Mon choix ne s’est pas encore arrêté, mais c’est ce que je recherche en ce moment. Je travaille aussi sur un solo qui sera présenté avec deux musiciens sur scène. J’en suis aux premiers balbutiements. Le solo sera présenté en 2017 et la pièce de groupe en 2018.»

 

À Montréal: Les 11 et 12 avril au Théâtre Maisonneuve (une production de la Place des Arts)
À Québec: Le 15 avril au Grand Théâtre de Québec (un coprésentation de La Rotonde)